[Flashback] PACIFIC RIM : Entretien exclusif avec le réalisateur GUILLERMO DEL TORO ! Première partie
Article Cinéma du Mercredi 07 Mars 2018

A l'occasion de la sortie de Pacific Rim 2 : Uprising, le 21 mars prochain, Effets-speciaux.info a le plaisir de vous proposer un long entretien, réalisé en 2013 à Los Angeles, avec l’un des maîtres du cinéma fantastique actuel, Guillermo Del Toro. Le réalisateur, qui vient de recevoir les Oscars 2018 du meilleur film et du meilleur réalisateur pour La Forme de l'eau (The Shape of Water), nous avait parlé de la genèse du projet, des films et séries « made in Japan » qui l’ont marqués pendant son enfance, et de sa passion pour les fameux « Kaiju Eiga », les films de monstres géants…

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau



Guillermo, votre film est à la fois une histoire originale et un hommage à la Science-Fiction japonaise, aux films et aux séries de robots géants et de Kaijus. Quels sont les films et les séries de ce genre qui vous avaient le plus marqué pendant votre enfance au Mexique ? Qu’est-ce qui vous plaisait particulièrement quand vous les regardiez et qu’est-ce qui continue à vous fasciner en eux aujourd’hui ?

Pendant toute mon enfance, j’ai grandi en me nourrissant régulièrement de films japonais de Science-Fiction et d’horreur. Dans les cinémas de mon quartier, on passait des films comme MATANGO d’Ishiro Honda, avec ces naufragés qui arrivent sur une île où ils sont contaminés et se transforment peu à peu en champignons…ou comme ONIBABA, l’histoire de cette mère et sa belle-fille qui vivent dans les marais au 14ème siècle et tuent les soldats de passage en leur tendant des embuscades, ou comme KURONEKO, avec ces soldats qui sont égorgés par les fantômes de femmes qui avaient été violentées jadis.







Evidemment, je n’aurais pas dû voir ces films à cet âge-là, car j’étais trop jeune, mais ils m’ont marqué et m’ont fait aimer l’épouvante au cinéma. Et bien sûr, je voyais tous les GODZILLA, GAMERA, et aussi FRANKENSTEIN VS BARAGON, LA GUERRE DES GARGANTUAS, PRISONNIERE DES MARTIENS, etc.





La télévision mexicaine diffusait aussi beaucoup de séries japonaises de SF en prises de vues réelles : ULTRAMAN et ULTRA SEVEN étaient diffusées en même temps.



Et il y avait aussi THE SPACE GIANTS dont le titre original est je crois EMPEROR MAGMA. Le héros était un robot géant tout doré appelé Goldar, qui était joué par un acteur qui portait un costume en caoutchouc doré, et un masque avec des antennes et une perruque blonde sur la tête…Je me souviens que dans le générique, on voyait une sorte d’avion à réaction futuriste plonger dans le cratère d’un volcan éteint…et aussi que le nom du méchant était Rodak ! (rires) C’était une série à tout petit budget, réalisée de manière encore plus modeste que les épisodes d’ULTRAMAN !



Et il y avait aussi la série intitulée CAPTAIN INFINITE, et croyez-le ou pas, mais le héros tuait des créatures en forme de champignons en les attaquant avec un couteau ! (rires) C’était génial ! Et à cette époque, on voyait aussi toutes les grandes séries animées comme OGON BAT de Takeo Nagamatsu et celles tirées des œuvres d’Osamu Tesuka comme ASTRO BOY, LE ROI LEO et aussi l’histoire de cette princesse qui se déguise en garçon…



PRINCESSE SAPHIR ? C’est une des premières séries japonaises qui avaient été diffusées en France, dans les années 70…

Oui, PRINCESSE SAPHIR ! A chaque fois que je me rends au Japon et que je parle avec des amis là-bas, ils sont sidérés d’apprendre que j’ai pu voir tant de programmes japonais au Mexique pendant mon enfance. J’ai toujours aimé tous les Kaijus, mais les monstres que je préfère sont les plus délirants, comme ceux que l’on voit dans ULTRAMAN. Les Kaijus que l’on voit dans les Godzillas comme King Ghidorah, Rodan, Gappa et Guilala sont très bien mais un peu trop « sobres » à mon goût. Mes favoris sont les plus cinglés de tous comme Bigamon, Baitan Seijin, et les autres créatures complètement folles des épisodes d’ULTRAMAN. Quand la seconde génération de séries d’animation japonaises est arrivée, PATLABOR était très importante, et très joliment réalisée, très esthétique. Pour ma part, je considère que c’est cette série-là qui a redéfini le genre des histoires de robots géants.

Vous mettez en scène des robots d’une taille colossale. Est-ce que vous n’aviez pas peur de perdre un peu les personnages humains en le plaçant dans un poste de pilotage qui se situe tout en haut de ces géants d’acier, dans leur « casques », et aussi dans une base militaire qui suit les combats 3 kilomètres derrière les lignes de front ?

J’espère vraiment que nous ne perdons jamais de vue les sentiments des personnages humains au cours du film, car c’est vraiment ce qui compte pour moi, bien plus que le spectacle des combats entre les robots et les monstres. Nous avons raconté cette histoire de manière à ce que les spectateurs ressentent de l’empathie pour Raleigh, Mako, Newt et Stacker, car ils ont chacun un passé, des cicatrices émotionnelles et des problèmes à résoudre. Cependant, ils n’ont pas perdu espoir et continuent à se battre alors que tout laisse croire que la guerre va être perdue. Bien sûr, les scènes de batailles ont une ampleur énorme, et les combats sont vraiment ahurissants, démentiels, mais il y a toujours des petits moments humains et touchants qui surgissent au milieu de tout cela. Et pour moi, ces petits moments qui nous dévoilent des choses sur les principaux protagonistes ont autant d’importance que les morceaux de bravoure des affrontements entre les Jaegers et les Kaijus. J’espère que le public réagira comme moi et qu’il ressentira la même proximité avec les héros de PACIFIC RIM.

Avez-vous essayé d’établir un rythme alternatif dans le film, entre combats et approfondissement de la description des sentiments des personnages, pour éviter le sentiment de trop plein d’action ?

Oui, oui. En fait, le film débute par un combat qui a l’air gigantesque, mais qui est en réalité le plus petit de tous. Ensuite, on présente les personnages en prenant le temps de bien le faire pendant les deux bobines suivantes. Ce n’est qu’à la moitié de la bobine d’après que les combats reprennent, et l’on découvre de nouvelles choses sur les personnages pendant les batailles qui se succèdent alors pendant tout le reste de l’histoire… Je suis vraiment tombé amoureux de ces personnages. Personnellement, je m’identifie beaucoup à Raleigh, que joue Charlie Hunnam, à cause de son caractère et de ce qu’il a vécu… L’enfance de Mako, qui est incarnée par Rinko me touche…et le meneur d’homme qu’est Pentecost, interprété par Idris Elba, a une dimension tragique d’autant plus émouvante qu’il ne laisse rien paraître. Mais en ce qui concerne Raleigh, ce qui me rapproche beaucoup de lui, c’est qu’il a été privé de la possibilité de piloter un Jaeger à cause d’un drame, et que moi, je n’ai pas réalisé de film depuis 5 ans. Nous avons tous les deux quelque chose à prouver. Nous avons tous les deux ressenti que cette nouvelle tâche était très importante pour nous. Piloter un Jaeger, c’est prendre le contrôle d’une énorme machine, et j’y suis parvenu à ma façon en réalisant cet énorme projet qu’est PACIFIC RIM. C’était extrêmement important pour moi.

On ne doute pas un instant que vous allez gravir le sommet du boxoffice en étant aux commandes de cette machine… (Guillermo Del Toro sourit)

Les monstres que vous mettez en scène ont changé entre le début de votre carrière et aujourd’hui…Pouvez-vous parler de cette évolution ?

J’aime énormément les monstres et la grande chose à propos des Kaijus, c’est qu’ils sont si grands qu’il importe peu qu’ils soient « bons » ou « méchants » : on les aime de toute manière ! Godzilla, par exemple, a commencé sa carrière en étant un méchant, une force de destruction épouvantable, puis il est devenu gentil et a défendu le Japon. Mais cela n’a eu aucune influence sur sa popularité : les spectateurs l’aiment toujours autant. Quand vous regardez une bataille entre un bon et un méchant Kaiju, vous pouvez les apprécier tous les deux, sans prendre parti. C’est une sorte de grand spectacle primal, l’affrontement de forces de la nature, comme si une tornade combattait un ouragan ! (rires) Tout repose sur cette échelle gigantesque, sur cette impression de voir les pouvoirs de l’univers se déchaîner devant vos yeux. C’est quelque chose que je n’ai jamais eu l’occasion de faire dans mes films. La seule séquence qui s’en rapproche est ce moment dans HELLBOY 2 pendant lequel Hellboy se bat contre la créature végétale géante issue de la nature, qui par définition, n’est ni positive, ni négative. Et d’ailleurs, on est très triste quand cet être est tué par Hellboy… Pour utiliser une image, je dirais que si j’avais été un fétichiste des chaussures, ce film aurait été entièrement dédié aux chaussures ! Mais comme je suis en réalité un fétichiste des robots et des Kaijus, réaliser PACIFIC RIM, c’était comme si je me retrouvais au paradis ! (rires) Pendant toute la préparation, je me disais constamment « Oh, ça c’est formidable…Et ça, c’est vraiment génial ! » (rires)

Comment l’idée de faire ce film est-elle née ?

C’est Travis Beacham qui a eu cette idée et il en a tiré un petit « pitch » qu’il a vendu à la société de production Legendary. Ensuite, je suis arrivé et j’ai commencé à échanger des idées sur l’histoire avec Travis. C’était un peu comme une partie de Ping-Pong : chacun rebondissait sur les idées de l’autre pour les pousser plus loin. Et les choses se sont si bien passées que nous avons fini par co-écrire le scénario ensemble. L’idée de base de Travis était super, et je me souviens avoir pensé « C’est vraiment très intéressant, mais je suis sûr qu’il doit déjà exister un film comme celui-là. » Puis j’ai cherché dans ma mémoire encore, encore et encore, et je me suis dit « Bon sang ! Personne n’a jamais pensé à transposer une telle histoire au cinéma ! ». Je crois que les spectateurs qui verront PACIFIC RIM constateront qu’il s’agit vraiment d’une lettre d’amour à tous les films japonais, toutes les séries dont nous avons parlé auparavant. C’est un univers que j’aime sincèrement. Si vous venez chez moi, vous pourrez voir que je vis parmi ces créatures. A la maison, j’ai une peinture de 6 mètres de large qui représente Godzilla se battant contre une pieuvre géante…et des centaines de figurines de Godzilla un peu partout…J’ai vénéré les Kaijus depuis ma plus tendre enfance. Et j’ai donc un petit « Musée de Kaijus » chez moi ! Et j’aime aussi énormément les robots. Heureusement pour la paix familiale, mon épouse et nos 2 filles les aiment beaucoup elles aussi ! (rires) Elles ont presque une attirance physique pour eux ! (rires) Quand je leur montre un nouveau robot, elles disent des choses du genre « Oh, il est drôlement séduisant ! » (rires)…comme s’il s’agissait d’une photo d’un calendrier de beaux pompiers musclés et à peine vêtus ! De même, il m’est arrivé d’emporter des designs provisoires de robots de PACIFIC RIM à la maison pour leur montrer, et elles faisaient immédiatement la moue devant un dessin en murmurant « Celui-là, il est vraiment moche. » (rires) Heureusement, elles sont tombées amoureuses de tous les designs définitifs des Jaegers.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.