Entretien exclusif avec Joseph Kosinski, auteur et réalisateur d’OBLIVION - Troisième partie
Article Cinéma du Mercredi 15 Mai 2013

[Retrouvez la précédente partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment avez-vous travaillé avec Tom Cruise pour développer le personnage de Jack et quelles suggestions vous a-t-il faites ?

J’ai proposé ce projet à Tom quand j’ai commencé à le développer pour le cinéma, avant même que le scénario n’ait été achevé. Je l’ai rencontré et je lui ai « pitché » le concept de l’histoire au cours d’un rendez-vous en 2010. Il a tout de suite été intéressé par ce sujet, et très intrigué par son potentiel. Comme il m’a donné assez vite son accord , j’ai développé le script en sachant que Tom jouerait le rôle principal, et cela m’a permis de d’adapter Jack à sa personnalité et à sa manière de jouer en assurant toutes les contraintes physiques du rôle, comme les scènes d’exploration ou les cascades. C’est une grande chance et une situation de travail extrêmement agréable pour un auteur/réalisateur. Et Tom m’a soumis beaucoup d’idées formidables, notamment en se mettant à la place du personnage. J’aurais du mal à vous en donner des exemples précis, parce que le temps a passé depuis la préparation puis le tournage du film…Ce qui me reste en tête et surtout devant les yeux en cette phase de postproduction, c’est le fruit de cette collaboration, et j’avoue avoir du mal à « démonter le film » pour me souvenir de qui vient telle ou telle idée. En tous cas, le travail avec lui s’est fantastiquement bien déroulé, et il s’est énormément impliqué dans tout le processus créatif. Tom a été un partenaire formidable pour l’aboutissement de ce projet, et il continue à l’être aujourd’hui, à la veille de la sortie en salles.

Le monde auquel croit Jack Harper vole en éclats à la suite de ses découvertes ultérieures…Comment avez-vous travaillé avec Tom Cruise sur la manière dont le personnage se transforme, et comment est-ce reflété par son comportement et sa manière de s’exprimer ?

Toute la description de cette métamorphose commence par ce qui se trouve dans le script. Je crois que la version finale du scénario dont nous avons disposé au moment où le tournage allait commencer constituait déjà une base de travail très aboutie et très solide. Nous avons passé ensuite trois semaines à répéter les scènes avec les acteurs avant de commencer à tourner. C’est très important de pouvoir faire cela quand les acteurs sont disponibles, car comme vous le savez, les films ne sont jamais tournés dans l’ordre chronologique des séquences. Dans un projet comme OBLIVION, il est absolument essentiel que chaque comédien comprenne parfaitement la progression de l’intrigue et soit capable de savoir exactement où en est son personnage, à tous moments. De cette manière, il sait dans quel état d’esprit il doit se trouver à chaque fois que l’on filme les séquences dans le désordre en suivant le plan de travail qui a été établi. Le temps investi dans les répétitions est donc crucial pour tout mettre à plat avec les acteurs, afin que tout se passe bien par la suite. J’ai pu disposer de plus de jours de tournage sur OBLIVION que je n’en avais eu sur TRON L’HERITAGE, et cela a été une bénédiction, car j’ai pu passer plus de temps à travailler chaque scène avec mes comédiens. Nous avions besoin d’avancer ainsi, sereinement, car les scènes de ce film sont beaucoup plus complexes que celles de TRON L’HERITAGE. Il fallait réussir à faire passer des émotions subtiles, des nuances. Un regard devait remplacer des non-dits…Et on ne peut pas obtenir tout cela si on travaille contre la montre, dans le stress permanent. Par bonheur, nous avons eu le temps nécessaire pour capter tout cela. C’était indispensable, car OBLIVION est une histoire qui repose essentiellement sur ses personnages, même s’il y a des trucages sophistiqués, de l’action, des images spectaculaires et beaucoup d’effets visuels. Toute l’équipe de création était mobilisée pour que l’on ne perde jamais cela de vue.

Parlons à présent des personnages de Julia et de Malcolm Beech, incarnés par Olga Kurylenko et Morgan Freeman… Quels sont leurs intentions et leurs buts ? Et que voient-ils en Jack ?

Julia Oristakova se retrouve propulsée dans ce monde et son but, comme Jack, est de découvrir la vérité. Elle donne à Jack la motivation d’aller au delà de ce dont il se croyait capable pour atteindre cet objectif. Je ne peux guère vous en dire plus, car il faut préserver les rebondissements et les surprises du récit…Et en ce qui concerne Malcolm Beech, qui est encore plus mystérieux, je dois être plus succinct ! (rires) Tout ce que je peux ajouter, c’est que Malcolm a des buts similaires à ceux de Julia, et qu’il espère aussi que Jack comprendra où se situe la vérité sur la situation de ce monde. Malcolm est un homme de l’ombre, que l’on a du mal à cerner, et dont les intentions réelles sont impossibles à deviner. Il est issu d’un passé encore plus sombre et plus lointain, et il a accumulé beaucoup d’indignation et de colère en lui. Julia et lui entraînent Jack chacun à leur façon vers de nouvelles découvertes tout au long du film, mais au bout du compte, c’est Jack qui devra déterminer lui-même quel est le bon chemin à suivre.

Seraient-il exact de dire que ces deux personnages reflètent chacun à leur manière une partie de la vérité ?

Oui, je crois que c’est une bonne description. Leurs points de vue et leurs perspectives à long terme ne sont pas les mêmes, mais ils révèlent chacun à Jack différentes facettes de la vérité.

Quelles sont les différences principales entre le roman graphique original et le film, à la fois dans l’approche visuelle et dans la narration ?

Après que le développement du scénario ait été achevé, je me suis amusé à relire l’histoire originale que j’avais écrite, et je dois dire que j’ai été étonné de constater à quel point l’esprit du projet avait été préservé jusqu’au bout du processus de création du film. Même si le traitement original n’était raconté qu’en 10 pages, la colonne vertébrale de l’histoire, la trajectoire des personnages, et les thèmes du récit sont toujours les mêmes. Bien évidemment, les séquences du traitement ont été énormément développées dans leurs moindres détails, mais l’histoire est restée la même à 95% . Il est assez rare que les choses se passent comme cela quand on travaille avec un grand studio et une grande star. Je suis donc très heureux de cela.

Nous parlions un peu plus tôt des nombreuses scènes d’OBLIVION que vous avez tournées dans des paysages naturels aux Etats-Unis, à Hawai et en Islande. Comment avez-vous sélectionné ces paysages pour créer les différentes ambiances que vous aviez visualisées en écrivant les séquences du film ? Et comment avez-vous choisi les endroits précis que vous avez décidé de les combiner numériquement avec les images des ruines de bâtiments, ponts et monuments célèbres ?

Je me souviens d’avoir feuilleté de nombreux livres consacrés aux voyages pour chercher des paysages qui feraient passer l’idée d’une planète terre qui a subi tant de bouleversements qu’elle en est presque revenue à ses origines, aux panoramas primordiaux de la lointaine préhistoire. Et quand j’ai découvert les photos de l’Islande, j’ai su immédiatement que c’était le pays dans lequel il fallait que nous allions tourner. Je ne sais pas si vous ou vos lecteurs avez eu l’occasion d’aller là-bas, mais on a vraiment l’impression d’avoir fait un bond de centaines de millions d’années dans le passé. C’est incroyable…L’Islande est une île volcanique, aux étendues recouvertes de sable noir issu des coulées de lave. Il n’y a pas d’arbres, mais simplement des mousses qui arrivent à s’agripper aux collines. A cause de son emplacement sur le globe, l’éclairage solaire pendant l’été dure 22 heures par jour, ce qui vous donne une fantastique latitude de travail quand on tourne sur place pendant cette saison. L’Islande était donc le lieu parfait pour ce film, et nous avons obtenu la permission de construire sur place les décors des ruines de notre monde. Cette juxtaposition entre le monde moderne que nous connaissons et ces paysages d’une autre ère nous a permis d’obtenir les atmosphères que je souhaitais.

En voyant les superbes images que vous avez créées ainsi pour le film, on songe à une expression d’un astronaute, qui en décrivant ce qu’il avait ressenti en observant pour la première fois le paysage lunaire autour de lui, avait parlé d’une « magnifique désolation »…Est-ce le sentiment que vous vouliez susciter quand vous avez conçu ces images de vestiges d’une terre ravagée ?

C’est étonnant que vous disiez cela, car il se trouve que j’utilisais l’expression de « belle désolation » pour décrire les paysages en ruines dans la première version de mon traitement ! Oui, c’est exactement le sentiment que j’essaie de susciter chez le spectateur.

En tant que réalisateur, que vouliez-vous accomplir au niveau narratif en tournant dans des décors naturels ?

Ce mélange de vrai et de faux exprime en images l’idée que même si la terre est en ruine, elle offre encore des visions d’une beauté stupéfiante. Du coup, on se sent en empathie avec Jack, qui aime se promener là, car ces ruines le fascinent autant que celles de Pompeï nous passionnent aujourd’hui. Certes, une catastrophe s’est déroulée là, mais la beauté brisée de ces lieux les rend encore plus émouvants. 

De quelle manière avez-vous utilisé les extraordinaires ressources de la résolution 4K en tournant le film ? Avez-vous également envisagé de recourir au procédé High Frame Rate et de tourner à 48 images par secondes ou à une vitesse supérieure ? Et enfin, la direction des studios Universal vous a-t-elle suggéré d’utiliser le relief à un moment, et si tel est le cas, pourquoi avez-vous décidé de refuser ?

J’ai testé les caméras permettant de tourner en HFR pendant la préparation du film, et après avoir visionné le résultat, j’ai pensé que ce mode de présentation-là ne conviendrait pas à l’histoire très particulière d’OBLIVION. J’ai testé ensuite la caméra Sony S65 4K, et j’ai compris que cette très haute résolution nous permettrait de restituer tous les détails des vastes panoramas que je voulais montrer dans le film, particulièrement les paysages d’Islande. Elle vous donne aussi un avantage supplémentaire auquel on ne pense pas forcément en évoquant le format 4K : même dans les plans larges, vous pouvez encore lire les émotions sur le visage d’un acteur, car il reste net. On entend dire aussi qu’il ne faut pas filmer en 4K les visages des stars, en sous-entendant que les petits défauts de leur épiderme seront trop visibles, mais je ne suis pas d’accord avec cela. En gros plan, ce format permet « d’entrer dans le regard » des acteurs, et cela donne des résultats formidables. On voit même clairement les reflets des environnements sur la surface de leurs yeux ! J’ai adoré jouer avec tout cela et je trouve que le format 4K ouvre des perspectives sensationnelles aux réalisateurs. Pour en venir au sujet de la 3-D Relief, oui, bien sûr, le studio a essayé de pousser en ce sens au cours du développement d’OBLIVION. Mais sortant de la réalisation d’un film en relief, TRON L’HERITAGE, il se trouve que je connaissais exactement les limitations que cela imposait à la mise en scène. Pour moi, un film de Science-Fiction se passant au grand jour devait d’abord et avant tout être très lumineux, et l’un des problèmes qui me gêne le plus avec le relief, c’est que l’on perd énormément de luminosité en voyant le film au travers de lunettes polarisées. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi la résolution 4K et la luminosité plutôt que le relief. Et je suis extrêmement heureux d’avoir fait ce choix. Je crois que c’était le meilleur mode de présentation pour ce film.

Comment avez-vous travaillé avec Andrée Wallin sur les illustrations préparatoires du film ? Avez-vous écrit des descriptions de ce dont vous aviez besoin, ou avez-vous dessiné vous-même des esquisses ?

J’avais réalisé 3 ou 4 images moi-même au tout début du projet, pour accompagner le traitement original, et j’ai confié ces illustrations et mon texte à Andrée pour le mettre sur la voie. Ensuite, nous avons longuement parlé de tous les points de l’histoire que nous venons d’évoquer vous et moi, ainsi que de ces paysages emprunts d’une « splendide désolation » et les structures célèbres que l’on pourrait voir surgir du sol par endroits. Nous avons travaillé pendant des années sur ce projet. J’ai continué à échanger des idées et à suivre l’avancement des dessins jusqu’au moment où j’ai terminé TRON L’HERITAGE, car je voulais que toute la « toile de fond » visuelle de cette histoire soit prête pour me permettre d’entamer les démarches sur ce nouveau projet immédiatement après. Cela a représenté 3 ou 4 ans de collaboration avant qu’il ne commence à travailler sur l’adaptation en film. Andrée continue d’ailleurs à travailler sur OBLIVION au moment où nous parlons, car il réaliser de nouvelles illustrations pour les posters et les bannières dont se sert le département marketing d’Universal pour assurer la promotion du film. Il a été l’un des contributeurs majeurs du développement d’OBLIVION, et je suis sidéré par son extraordinaire talent d’artiste, et par la manière dont il a encore évolué et progressé en à peine quelques années.

Que pouvez-vous nous dire des scènes d’action du film, qui se déroulent à la fois dans les airs et sur terre ?

Eh bien les scènes d’action qui m’enthousiasment le plus dans le film sont celles qui impliquent le vaisseau que pilote Jack pour se rendre sur terre, le « vaisseau-bulle ». Il s’agit d’une sorte d’hybride entre un hélicoptère et un avion à réaction de combat. C’est le designer Daniel Simon qui l’a dessiné en s’inspirant des formes organiques d’une libellule. Et grâce aux capacités de manœuvres aériennes dont nous l’avons doté, les évolutions aériennes du vaisseau-bulle pendant les scènes d’action ne ressemblent à rien de ce que l’on a vu auparavant dans des films de Science-Fiction. J’ai hâte que les spectateurs puissent découvrir les séquences dans lesquelles ce vaisseau joue un rôle important.

Quels sont les combats et/ou les cascades les plus difficiles que les acteurs ont effectués eux-mêmes ?

Oh, on pourrait dire que Tom Cruise est un effet spécial, car il est toujours partant pour tourner lui-même toutes ses cascades ! (rires) Il n’a peur de rien. Il a été capable de faire des choses impressionnantes, que très peu d’acteurs sont en mesure de faire. Il m’a bluffé plus d’un fois en se postant au bord du vide devant des falaises impressionnantes, en pilotant brillamment une moto et pendant différentes scènes d’action dont je ne peux pas révéler les détails. OBLIVION est un film qui a été tourné majoritairement en prises de vues réelles. Il y a probablement moins de plans d’effets visuels dans le film que ce que les gens croiront après l’avoir vu, parce que nous avons trouvé beaucoup d’astuces pour obtenir le résultat voulu devant la caméra. C’était extrêmement important pour moi, car cela « ancre » le film dans la réalité. Nous n’aurions pas pu obtenir un tel résultat en ne misant que sur les images de synthèse.

Avez-vous tenté d’employer autant d’effets spéciaux de plateau et de trucage à la prise de vue que possible, même si vous vous êtes beaucoup appuyé sur les images de synthèse auparavant ?

Oui, absolument. Nous avons toujours essayé de tourner le plus de choses possibles « en direct », afin d’être en cohérence avec le choix de nous installer dans des paysages naturels. C’est ce qui nous a poussé à utiliser le système de projection 4K plutôt que des fonds verts pour filmer la tour du ciel. Nous avons fait construire un vaisseau-bulle en vrai, à taille réelle, de « vrais » drones, installé de « vrais » décors du sommet de l’Empire State Building dans les paysages de l’Islande, etc. Idem pour les effets pyrotechniques et autres. Ils ont été tournés en prises de vues réelles, puis augmentés numériquement quand c’était nécessaire.

Quelles sont les scènes que nous allons découvrir sur les éditions DVD & Blu Ray du film ?

Nous sommes en train de choisir les scènes coupées qui pourraient être présentées dans le Blu Ray. Le choix définitif n’a pas encore été fait, mais il est probable qu’il y aura au moins deux scènes inédites incluses aux bonus.

Envisagez-vous de réaliser une version longue d’OBLIVION ?

Je pourrais l’envisager, à un certain moment dans le futur, car j’ai tourné énormément de choses pour ce film, et je crois que les gens qui l’aimeront en salles pourraient apprécier de voir ces moments-là réintégrés dans la narration de l’histoire. Je pense tout particulièrement aux fans de Science-Fiction qui aimeraient sans doute avoir l’occasion de voir plus en détail et plus longuement certaines choses que nous montrons dans le film. Mais pour être parfaitement honnête, même si cette expérience me tenterait, je suis pleinement satisfait de montage de la version du film montrée en salles!

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