Exclusif : Visite du tournage de CAPTAIN AMERICA, THE FIRST AVENGER - Entretien avec Barry Gibbs, responsable des accessoires spéciaux
Article Cinéma du Dimanche 24 Juillet 2011

[Retrouvez la première partie de ce dossier]


Par Pascal Pinteau

Dans les coulisses des studios Shepperton

C’est en octobre de l’année dernière que nous avons franchi les grilles des célèbres studios anglais de Shepperton et de Longcross, pour nous rendre sur le tournage de CAPTAIN AMERICA, qui occupait alors tous leurs plus grands plateaux. A Shepperton, Rick Heinrichs nous avait présenté des dizaines de storyboards et d’illustrations spectaculaires qui témoignaient d’emblée de l’ambition du projet : créer le premier film de superhéros au style « rétro-futuriste », et aux scènes d’action dignes de celles des AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE. Nous avions pu découvrir les impressionnants dessins conceptuels du maquillage de visage écorché de Crâne Rouge, porté par Hugo Weaving, et complété par un peu d’effacement numérique, puisque l’ennemi juré de Captain America n’a plus de nez. Rick Henrichs nous avait dévoilé toute l’histoire du film (retrouvez l’entretien ici]), qui narre fidèlement la genèse du superhéros, tout en y ajoutant quelques éléments inédits. L’enjeu du combat que se livrent Captain America et Johann Schmidt/ Crâne rouge, est un objet légendaire appelé « le cube cosmique » source d’une des forces les plus puissantes de l’univers, qui serait capable d’animer les engins de guerre dévastateurs imaginés par les savants à la solde de l’Hydra. Pour plaire à tous les fans de Captain America, le film évoque les deux époques du personnage : il débute de nos jours, lorsque des explorateurs extraient un bloc de glace contenant une mystérieuse silhouette de l’épave d’un bombardier géant, retrouvé en plein arctique, puis le récit est narré en flashback, et se déroule à 95% pendant la seconde guerre mondiale, avant de se conclure en 2011…

Un monstre mécanique

Non loin des bureaux de Rick Henricks, nous avons pu voir l’un des véhicules les plus impressionnants du film : le « coupé » de Schmidt, une énorme voiture blindée truffée d’armes. C’est un monstre mécanique de près de neuf mètres de long, doté d’une vraie carrosserie en métal, et d’énormes pneus qui proviennent d’engins militaires. Ce véhicule construit de A à Z par le département des effets spéciaux est capable de rouler à près de 100 KMH. Le designer Daniel Simon, qui avait conçu l’engin en 3D sur son ordinateur, est d’ailleurs tombé à genoux devant la voiture, époustouflé de la voir matérialisée aussi fidèlement ! Sur le plus grand plateau de Shepperton, équipé d’un fond vert, se construisait le décor de la foire exposition de 1939 que Steve Rogers et son camarade Bucky vont visiter, découvrant au passage le pavillon de Stark Industries où sont exposées les dernières inventions d’Howard Stark, le futur père d’un certain Tony. Sur un second plateau, c’est le train de l’Hydra qui était en cours de fabrication, et sur un troisième l’intérieur d’une des ailes du bombardier géant, dans laquelle se déroule une partie de l’affrontement final entre Captain America et Crâne rouge. Mais le décor le plus complexe lié à ce combat, est le poste de commande du bombardier, qui était installé sur un quatrième plateau. Au cours de la lutte, l’avion évolue dans tous les sens. Il avait donc fallu monter ce décor géant sur un « gimbal », c’est à dire une plateforme hydraulique qui pouvait le faire monter, descendre et aussi l’incliner dans tous les sens. Le formidable travail de Rick Henrichs a été complété par l’équipe de création des accessoires spéciaux, dirigée par Barry Gibbs, qui nous reçu, bouclier de Captain America en main, dans son atelier, véritable caverne d’Ali-baba ou armes futuristes, fanions de l’Hydra, et machines délirantes étaient exposées ou en cours de fabrication…



Entretien avec Barry Gibbs, responsable des accessoires spéciaux

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Vous avez eu la lourde responsabilité de fabriquer le bouclier en métal de Captain America, qui est son accessoire-symbole…

Oui ! Celui que j’ai en main est une version légère, destinée aux cascades, qui a été usinée en aluminium, avec des détails tirés en résine et fibre de verre à l’arrière. La partie avant est très réaliste, tandis que la partie arrière que l’on ne voit pas, est moins détaillée.

Cette version du bouclier porte de nombreuses traces de combats et d’impacts de balles…

Oui, c’est la version la plus endommagée, que l’on retrouve aux côtés de Captain America, de nos jours, dans la glace de l’arctique, à la toute fin du film.

Combien de boucliers avez-vous fabriqué en tout ?

Environ 25 de cette sorte-là, en deux versions de tailles différentes. L’une qui mesure 60cm de diamètre est plus petite car elle est destinée à être accrochée dans le dos de Captain America pendant les cascades, et l’autre, qui mesure 62,2 cm de diamètre, est la version principale qu’il tient devant lui pour se protéger des balles ou des explosions, et qui est réalisée en aluminium. Elle pèse un peu plus d’un kilo. Nous avons également fabriqué des versions en matières souples, certaines très souples, d’autres plus rigides, également destinées aux cascades, pour des raisons de sécurité. Certaines scènes étant tournées devant un fond bleu, nous avons aussi fabriqué des versions du bouclier sur lesquelles la partie bleue avait été teintée en vert. Dans la version finalisée des trucages, le bouclier retrouvera bien sûr son bleu habituel. C’est Howard Stark qui conçoit ce bouclier dans le film. Nous avons également fabriqué le tout premier bouclier de Captain America, celui dont il se sert pendant qu’il joue son rôle de mascotte des troupes dans les spectacles destinés à l’armée. La première version du costume de Captain America, réalisée en tissu, représente le drapeau des Etats-Unis, et son bouclier de spectacle a la forme d’un bouclier médiéval de chevalier, exactement comme dans la BD originale, lorsque le personnage est apparu. Steve Rogers se produit ainsi dans des films, des spectacles de théâtre, et dans un show présenté dans la salle du célèbre Radio City Music Hall de New York. Nous avons fabriqué cette première version du bouclier de manière à ce que les spectateurs voient bien qu’il s’agit d’un accessoire de spectacle, et non pas d’un véritable bouclier. Au début, nous pensions la fabriquer en acier, mais on nous a rappelé que pendant cette époque, l’effort de guerre, comme on l’appelait, incitait tous les gens et toutes les industries à économiser les matières premières qui servaient à fabriquer l’armement et les engins de guerre : par conséquent, on n’aurait pas utilisé de l’acier ni de l’aluminium pour construire un accessoire comme celui-là. Nous avions pensé à utiliser du fer blanc, qui ne faisait pas partie des métaux rationnés, mais finalement, nous avons utilisé du laiton, qui a un aspect plus intéressant. Ce bouclier en laiton massif est donc très lourd, il pèse presque 8 kilos. Lui aussi est très endommagé pendant le film.

Captain America utilise souvent son bouclier comme une arme, en le lançant comme un boomerang, et en jouant sur les rebonds pour le faire revenir vers lui après avoir percuté ses adversaires…

Oui, nous avons fait des essais de lancer avec différentes versions du bouclier, mais sans jamais obtenir les résultats de Captain America ! (rires) Il faut dire que la partie arrière avec les sangles n’est pas très aérodynamique. Elle « freine » le bouclier quand on le lance en essayant de le faire voler comme un frisbee.

Pourquoi les parties colorées du bouclier rond sont-elles endommagées, tandis que le métal blanc ne l’est pas ?

C’est parce que le métal blanc est sensé être du « fibrainium », un alliage indestructible conçu par Stark Industries, tandis que les parties colorées, qui sont posées en surface pour former le logo de Captain America, sont réalisées en acier normal. Le bouclier que je tiens en main a servi à tourner des scènes de cascades en moto, et c’est la raison pour laquelle il a particulièrement souffert !

Dans la bande dessinée, le bouclier rond est simplement peint, semble-t’il, car on ne perçoit pas de relief. La version du film, superbe, est réalisée avec des volumes, et différentes pièces de métal encastrées les unes dans les autres. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire cela ?

Effectivement, nous aurions pu reproduire simplement la cocarde avec l’étoile centrale sur une surface bombée mais plate, comme dans la BD. Cependant, quand nous avons songé à la manière dont le bouclier serait certainement cadré dans de nombreux plans, nous nous sommes rendu compte qu’un bouclier lisse et peint, vu sur un écran de cinéma de 5 mètres de haut, aurait un aspect beaucoup trop simple. Il fallait que cet objet emblématique, fabriqué par Howard Stark, semble être un produit sophistiqué, usiné avec des machines de haute précision, et pour obtenir cette apparence, il fallait « reconstruire » le bouclier avec des pièces en volume. Le bouclier que je tiens a été fabriqué avec trois cercles concentriques d’aluminium, plus la partie centrale avec l’étoile réalisée en plusieurs éléments. Cela représente 15 pièces au total.

Quels ont été les accessoires les plus complexes que vous ayez fabriqués pour ce film ?

Les plus durs ne sont pas encore terminés ! (rires) Nous avons conçu et fabriqué cinq armes-prototypes, qui figuraient déjà dans les premières versions du script, puis un canon automatique, qui est apparu dans une version ultérieure du scénario. Tout cela a été fabriqué de A à Z dans notre atelier, sans que nous ayons recours à des pièces existantes. Nous avons modélisé ces armes en 3D pour être sûrs qu’elles pourraient fonctionner mécaniquement. L’un des canons est monté sur un « half track » (Un véhicule militaire muni de roues à l’avant et de chenilles à l’arrière). Ces armes sont très grandes, mais nous en avons aussi fabriqué certaines qui sont assez petites pour tenir dans une boîte de pilules. Le point commun de toutes ces armes, c’est qu’elles sont alimentées par l’énergie du cube cosmique que Johann Schmidt a retrouvé. Elles sont toutes dotées de parties éclairées en bleu clair, un effet lumineux qui sera amplifié ultérieurement par le département des trucages numériques.

Les méchants disposent-ils d’autres armes ?

Oui, des lance-flammes, que nous avons également fabriqués, en collaboration avec le département des effets visuels. Les éléments que nous avons conçus sont fixés sur de vrais lance-flammes et le tout fonctionne réellement. Nous avons aussi fabriqué de très grosses armes qui sont fixés sur les tanks, au bout de bras mécaniques , et qui fonctionnent avec l’énergie « bleue » issue du cube cosmique. Elles sont très impressionnantes.

Avez-vous également fabriqué des éléments destinés au décor du bombardier géant ?

Oui : tous les instruments de pilotage et les cadrans de navigation, les sièges, et les parties techniques qui sont insérées dans les structures du décor. Nous avons aussi construit les énormes bombes de 1m40 de diamètres que l’on verra dans les ailes creuses de l’appareil, et qui seront éclairées par des LEDs bleues pour donner l’impression d’être alimentées par la puissance du cube.

Quel est le rôle de cette grosse machine qui se trouve à côté de nous, qui ressemble à une sorte de turbine ?

Il s’agit du « Berceau du cube ». C’est à l’intérieur de cette machine, fabriquée dans le laboratoire de Schmidt, que le cube cosmique est placé afin d’alimenter une sorte de réacteur. Cette version est la première que nous ayons fabriquée, mais nous en avons créé une seconde plus sophistiquée, aux formes plus épurées, par la suite. Dans la séquence qui se déroule dans le bombardier géant, on ne voit que la partie supérieure de ce réacteur. Nous avons fabriqué un petit support hydraulique sur lequel on encastre le cube, dans une boîte de titane. Le cube descend alors lentement, tous les verrous autour de cette partie de l’engin se bloquent, et le réacteur s’illumine et se met en marche pour générer une puissance énorme.

Comment se déroulent les différentes étapes de votre travail quand on vous remet le design d’un engin comme celui-là ?

Eh bien généralement, une machine comme celle-ci n’est dessinée que sous un seul angle par les artistes chargés des designs. C’est la raison pour laquelle notre équipe de 42 modeleurs 3D intervient ensuite, et en reconstitue chaque élément en trois dimensions d’après le dessin plat en 2D, afin que tout le mode se mette bien d’accord sur l’aspect final que cet accessoire devra avoir sous tous les angles. C’est un travail extrêmement long et minutieux, car il faut également anticiper d’autres problèmes - qu’il s’agisse d’assemblage ou de fabrication des pièces, ou de fonctionnement mécanique des parties qui sont articulées - avant de passer à l’étape de la construction. De plus, si cette machine doit apparaître pendant une séquence de cascade, nous devons penser à fabriquer des répliques souples des parties pointues ou potentiellement dangereuses pour les cascadeurs qui pourraient tomber dessus. Nous essayons toujours de donner une certaine crédibilité à ces machines, de songer à la manière dont elles pourraient fonctionner si elles existaient. Dès qu’ils les voient, les spectateurs doivent sentir qu’il y a une logique derrière des appareils comme ceux-ci.

Avez-vous utilisé certains éléments authentiques de la seconde guerre mondiale que vous avez recombinés à votre manière pour créer de nouveaux accessoires ?

Oui. Mais surtout quand il s’agit d’éléments qui doivent paraître très réalistes. Ce qui n’est pas toujours possible dans le contexte du film, où l’on voit beaucoup d’appareils de style « rétro-futuriste ». Il faut donc que nous soyons très prudents lorsque nous mêlons de vrais éléments à des éléments purement imaginaires, car nous sommes tenus d’obtenir un résultat globalement crédible, et visuellement homogène. Il y a aussi des problèmes liés à la propriété industrielle de certaines pièces d’époque, et il faut donc que nous vérifions si nous pouvons obtenir le droit de les utiliser, sans que cela crée de problème ultérieur.

En dehors du bouclier, avez-vous fabriqué d’autres accessoires ou d’autres gadgets de l’équipement de Captain America ?

Oui, les accessoires que vous pourrez voir sur sa moto. Nous avons également fabriqué, en conjonction avec le département des effets de plateau, le « caisson de renaissance » dans lequel le chétif Steve Rogers est métamorphosé et régénéré en surhomme. Au début, ce caisson devait avoir une apparence assez rudimentaire, et au fur et à mesure, nous lui avons donné des formes élégantes et épurées qui évoquent celles des voitures de course des années 30-40. Nous avons aussi conçu et fabriqué les mécanismes qui permettent au caisson de s’ouvrir comme une fleur. C’est un vraiment un très bel accessoire, avec de superbes finitions. En dehors de cela, nous avons fabriqué aussi divers gadgets électroniques, de nouvelles grenades, différents modèles de mines, des appareils de communication…Ce film nous donne vraiment l’occasion de faire un travail passionnant, grâce à l’approche de Joe Johnston. Joe n’utilise jamais le script au pied de la lettre. Il essaie toujours d’ajouter des choses qui amplifient l’impact de chaque scène, et de ce fait, il nous demande souvent de fabriquer des accessoires qui n’étaient pas prévus au début. Ou alors, il nous pousse à développer davantage des éléments qui n’étaient que vaguement décrits dans le scénario, parce qu’il visualise déjà tout le parti qu’il pourra en tirer visuellement.

Devez-vous faire approuver tous les designs que vous puisez dans les BD de Captain America par Marvel ?

Non. Ce qui est très agréable avec eux, c’est qu’ils connaissent parfaitement leurs produits, c’est à dire leurs personnages et leurs univers respectifs. Ils nous apportent toute l’aide nécessaire dont nous pouvons avoir besoin, si nous cherchons la référence d’un élément visuel précis. Tout existe, imprimé en couleurs sur papier, depuis plus de 60 ans dans certains cas, comme celui de Captain America ! Nous n’avons donc pas hésité à leur demander de faire des recherches dans leurs archives, et ils nous ont fourni tout ce dont nous avions besoin, et bien plus !

Avez-vous construit aussi des accessoires « normaux » ?

Oui, bien sûr. Il s’agit souvent de choses liées aux cascades, comme ces fausses poubelles métalliques qui sont en fait fabriquées en latex un peu rigidifié. Nous avons également fabriqué le mobilier du laboratoire de Schmidt.

Est-ce que certains gadgets réels de la seconde guerre mondiale apparaissent dans le film ?

Oui : nous avons réalisé notre propre version de la fameuse machine de codage de message Enigma, qui avait été mise au point par l’armée allemande. Mais ce n’est pas une copie exacte, plutôt une interprétation de l’objet réel.

Une fois le tournage du film terminé, qu’adviendra t’il de tous ces accessoires ? Resteront-ils ici en Angleterre, ou seront-ils expédiés aux USA ?

Cela n’a pas été encore décidé pour l’instant, tant que le tournage des prises de vues principales n’est pas achevé, car nous pourrions en avoir encore besoin si l’on tourne à nouveau certaines scènes. Mais nous les enverrons probablement aux USA, où ils seront stockés dans un hangar appartenant à Marvel. Nous avons également reçu un élément d’IRON MAN 2 que l’on verra dans ce film, et je pense que certaines choses que nous avons fabriquées apparaîtront aussi dans le film LES VENGEURS.

La suite de cet article sera publiée prochainement par ESI ! Mais vous pouvez retrouver nos précédents articles consacrés à Captain America et aux films de super-héros sur cette page.

IMPORTANT : Nous rappelons aux animateurs de sites web ou de blogs qu’il est strictement interdit de reproduire dans leur intégralité les articles que nous publions sur Effets-speciaux.info. Si vous souhaitez citer certains passages de nos contenus (seulement un court extrait), veuillez d’abord nous contacter à cette fin pour autorisation, puis veiller à citer d’emblée Effets-speciaux.info comme étant votre source, et enfin ajouter le lien permettant d’accéder à notre ou nos article(s) sur notre site. Cela s’applique bien sûr aussi aux contenus de nos articles cités par des sites américains.

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.