Preview L'invention de Hugo Cabret – Martin Scorsese nous invite dans le monde magique de Méliès
Article Cinéma du Dimanche 07 Aout 2011

Contre toute attente, l'un des plus grands cinéastes contemporains signe, à près de soixante-dix ans, son premier film destiné aux plus jeunes. Ce virage artistique s'accompagne d'un autre, technologique, puisque Martin Scorsese succombe à la mode initiée par James Cameron afin d'offrir une troisième dimension à l'adaptation cinématographique d'un roman mêlant la grande Histoire et la fiction...

Par Pierre-Eric Salard



Publié par Scholastic Press en janvier 2007 (puis en France en 2008 aux éditions Bayard Jeunesse), L'invention de Hugo Cabret est un livre écrit et illustré par Brian Selznick (The Houdini Box, The Doll People). Ce roman de plus de 500 pages joue autant avec les mots que les images, puisqu'il contient près de 300 illustrations ! L'auteur utilise ainsi une vieille recette, propre à attirer les enfants allergiques à la lecture. Textes et images se complètent pour former la trame d'une aventure graphique inoubliable. « Ce n'est ni un véritable roman, ni un livre d'images, ni une bande dessinée ou un romans graphique », explique Brian Selznick. « C'est tout cela, et bien davantage ! » Il s'inspire du parcours et des œuvres du cinéaste français Georges Méliès, ainsi que des travaux de Thomas Edison - l'inventeur de l'électricité, du phonographe, de l'ampoule électrique, de la pile alcaline, du kinétographe et des premiers studios de cinéma, excusez du peu ! - sur les automates parlants. « L'une de mes principales sources d'inspiration fut un livre intitulé Edison’s Eve: A Magical Quest for Mechanical Life, de Gaby Wood », précise-t-il. « Toute l'histoire des automates y est racontée ». Rappelons que les automates sont des dispositifs fonctionnant sans intervention humaine. Ce sont d'ailleurs les ancêtres de nos robots favoris ! « Gaby Wood a écrit un chapitre entier sur George Méliès, qui collectionnait les automates. Certains avaient été fabriqués par l'illusionniste Jean-Eugène Robert-Houdin ! Méliès les adorait, mais des ennuis financiers l'ont contraint à s'en séparer. Ils ont fini par être détruits ! Quel gâchis ! J'ai alors imaginé l'histoire d'un enfant qui trouve l'un de ces automates...» The Invention of Hugo Cabret met ainsi en scène un garçon orphelin et solitaire de douze ans qui survit grâce à de menus larcins dans le Paris des années 1930. Il se cache dans les combles d'une gare, dont il est chargé de régler les horloges. Son père, horloger, travaillait dans un musée où il avait découvert un étrange automate, assis, un stylo à la main, comme s’il voulait délivrer un message. Ce souvenir ne cesse de hanter la mémoire de l’enfant… surtout depuis que son père lui a remis un carnet détaillant le fonctionnement du robot ! Le jeune garçon est persuadé que cet automate a un important message à lui délivrer. Mais la vie secrète de Hugo prend un tournant décisif le jour où il rencontre une jeune fille excentrique et le vieux propriétaire bougon d'une boutique de jouets, qui lui prend confisque son carnet...

Hommage au cinéma

« J'ai regardé de nombreux vieux films pendant l'écriture de ce livre », confie Brian Selznick qui, par une savoureuse coïncidence, porte le nom du célèbre producteur d'Autant en Emporte le Vent. « L'un de mes films favoris est Sous les Toits de Paris, de René Clair, qui a été tourné en 1930 - soit un an avant les évènements de mon roman. J'ai également adoré Les 400 coups de François Truffaut (1959). Son jeu héros, qui fugue et passe quelques nuits à Paris, me rappelait Hugo ! Une de mes autres sources d'inspiration fut Zéro de conduite (1933), de Jean Vigo. C'était l'un des films préférés de Truffaut. Cette rébellion juvénile ressemble à un rêve d'enfance ! » Brian Selznick s'est donc plongé avec délice dans notre cinéma national. Mais l'histoire de Hugo Cabret n'existerait pas sans l'œuvre du pionnier Georges Méliès. « Son Voyage dans la Lune, réalisé en 1902, est le premier film de science-fiction de l'histoire du cinéma ! Quand je l'ai découvert, il y a bien longtemps, je m'étais dit qu'il faudrait que je signe un jour une histoire sur l'homme qui avait fait ce film. C'est désormais chose faite ! Pendant que j'écrivais mon livre, je piochais régulièrement dans la filmographie de Méliès. Cela m'inspirait... » Mais les recherches de Brian Selznick ne se sont pas arrêtées au cinéma, auquel l'ouvrage rend indéniablement hommage. Certaines évènements historiques ont également influencés son récit. « Hugo est hanté par l'histoire d'une accident ferroviaire qui s'est déroulé, bien des années auparavant, dans la gare où il vit », précise-t-il. « En fait, j'ai découvert qu'en octobre 1885, un train de la Compagnie de l'Ouest est entré dans la gare Montparnasse à une vitesse excessive. Les freins n'ont pas fonctionné à temps et la locomotive traversa la gare, percuta un mur, vola à travers une fenêtre et finit sa course dans la rue, neuf mètres plus bas ! » La motrice faillit percuter un tramway sur la Place de Rennes, où se trouve désormais la Tour Montparnasse... De quoi alimenter l'univers magique de Hugo Cabret - et prouver que la réalité dépasse souvent la fiction ! La réussite tant conceptuelle que graphique et narrative du roman permit à Brian Selznick de recevoir le prix Caldecott, l'un des plus plus prestigieux des Etats-Unis. Les lecteurs assidus auront tôt fait de remarquer le découpage quasi cinématographique des illustrations. Il est donc guère étonnant d'apprendre que cet hommage au Septième Art et à la magie ait, dès la publication du livre, séduit des producteurs !

Le Paris des années 1930

En février 2007, les studios Warner Bros, GK Films et Initial Entertainment Group se procurent les droits d'adaptation de ce roman graphique. L'écriture du scénario est confiée à John Logan (Sweeney Todd, Aviator). Graham King et Martin Scorsese en sont les producteurs. En mai 2008, Chris Wedge (L'âge de glace, Robots) se voit attribuer la mise en scène. Si le tournage – en prises de vues réelles - est originellement annoncé pour l'automne de la même année, le projet manquera à l'appel jusqu'en avril 2010. Alors que Shutter Island vient de sortir sur les écrans, Martin Scorsese décide d'en faire sa prochaine réalisation ! L'industrie hollywoodienne ne cache pas son étonnement : L'invention de Hugo Cabret sera à la fois son premier film destiné à la jeunesse, mais aussi sa première œuvre filmée en relief ! Un joli doublé pour un cinéaste qui n'a plus rien à prouver depuis bien longtemps... Fidèle à son habitude, Martin Scorsese ne perd pas son temps. Le tournage est annoncé pour juin 2010, et la sortie du film pour le 9 décembre 2011 aux Etats-Unis. Les annonces de casting s'enchainent... et font tourner les têtes des cinéphiles ! La distribution compte ainsi dans ses rangs Emily Mortimer (Shutter Island), Michael Stuhlbarg (Mensonges d'état), Ben Kingsley (Prince of Persia), Sacha Baron Cohen (Borat), Asa Butterfield (Wolfman), Chloe Moretz (Kick Ass, Laisse moi entrer), Jude Law (Sherlock Holmes), Ray Winstone (Beowulf), Christopher Lee (Les Deux Tours...), Helen McCrory (Harry Potter), Frances de la Tour (Alice au Pays des Merveilles) et Richard Griffiths (Harry Potter). Si Asa Butterfield a l'honneur d'incarner le rôle-titre, ceux de la jeune fille excentrique, Isabelle, et du vieux propriétaire sont respectivement confiés à Chloe Moretz et Ben Kingsley. Sacha Baron Cohen joue un inspecteur, Emily Mortimer une fleuriste, et Jude Law le père d'Hugo Cabret. « Ma participation est minime, et je ne vais apparaitre qu'à l'occasion de flashbacks », souligne ce dernier. « Cela tombait bien, puisque je devais commencer le tournage de Sherlock Holmes 2 dès la rentrée (rires) ! ». Martin Scorsese s'entoure d'une équipe technique tout aussi impressionnante, parmi laquelle on retrouve ses plus fidèles collaborateurs : Robert Richardson, directeur de la photographie de Shutter Island, Dante Ferretti, directeur artistique d'Aviator, Sandy Powell, chef costumière des Infiltrés, ainsi que Thelma Schoonmaker, la monteuse attitrée du cinéaste oscarisé. Le tournage débute le 28 juin 2010 aux Shepperton Studios de Londres, puis s'installe sur les trottoirs de notre capitale du 16 au 25 août. La Sorbonne, La Place du Panthéon et le quartier de l'Opéra sont autant de lieux de tournage arpentés – après avoir retrouvés leurs habits des années 1930 - par Martin Scorsese et son équipe ! En plein mois d'août, le square de l'Opéra Louis Jouvet, dans le neuvième arrondissement, se retrouve ainsi recouvert de neige carbonique ! Le théâtre de l'Athénée, quant à lui, est transformé en une salle de cinéma typique de « l'entre deux ». Sur sa façade, les passants peuvent admirer une affiche annonçant la sortie du film Sous les toits de Paris, qui inspira Brian Selznick. Le tournage s'est poursuivi à Londres, où sont tournées plusieurs scènes en extérieur...

Les avantages du relief

Chloe Moretz s'avoue ravie de l'expérience qu'elle a vécu sur le tournage. « Martin Scorsese est un réalisateur fabuleux ! C'est génial de pouvoir le regarder travailler, et de partager sa vision. Isabelle est un personnage excentrique, qu'il m'a aidé à comprendre. Je connaissais l'existence du livre, mais je ne l'avais pas lu avant d'être engagée. Il est génial, et je ne doute pas que Martin ne décevra pas les fans ! Le film sera très fidèle, même si les lecteurs remarqueront forcément des différences ». La jeune actrice savoure la chance de pouvoir jouer face à des comédiens aussi prestigieux. « Sacha Baron Cohen est incroyable. Et il est bien plus propre et normal qu'il en a l'air (rires) ! Lorsque je l'ai rencontré, je lui ai demandé où étaient passés Borat et Bruno. C'est un excellent acteur de composition... Les décors nous ont aidés à entrer dans cet univers. Il y avait une gare, dans son intégralité ! Mais j'avoue que ce qui rend ce film vraiment excitant à mes yeux, c'est le relief ! » En effet, L'invention de Hugo Cabret est le premier film de Martin Scorsese à être filmer à l'aide de caméras numériques 3D, ce qui fit dire à James Cameron que le relief était parti pour durer ! « Je suis très excité par la 3D », explique le réalisateur de Gangs of New York. « Le relief doit être utilisé pour apporter une profondeur – littérale - au récit. Notre œil perçoit la profondeur de champs. Les salles de cinéma ne sont pas en 2D, non ? Pourquoi un film comme Precious ne pourrait pas être projeté en relief, d'ailleurs ? » Mais avant d'être durablement converti à la troisième dimension, Martin Scorsese s'est penché sur la technologie. « Il en est tombé amoureux », raconte la monteuse Thelma Schoonmaker. « Il a pourtant été déçu par le relief d'Avatar et d'Alice au Pays des Merveilles, qu'il ne trouvait pas aussi intéressant que celui de L'Homme au masque de cire ou du Crime était presque parfait. Il a décidé que la 3D devait être plus impressionnante. Nous avons longuement philosophé sur ce sujet : quel est le but du relief ? Comment l'utiliser ? Avec lui, rien n'est jamais laissé au hasard ! Nous avons donc testé le relief sur une scène pour voir si cela fonctionnait. Il a vite été conquis ! L'invention de Hugo Cabret sera un film très visuel, avec peu de dialogues. Nous avons l'opportunité d'imaginer de superbes plans en relief ! » Martin Scorsese se défend pourtant de reproduire les erreurs du premier âge d'or de la 3D, dans les années 1950. « Je ne cherche pas à jeter forcément des objets à la tête des spectateurs. Il faut que l'outil soit au service de l'intrigue. Peut-être n'y arriverais-je pas ? ». Ce qui ne l'empêche pas de se servir des derniers progrès en matière de technologie ! Vincent Pace, le co-créateur de la caméra Fusion utilisée sur Avatar, lui a par exemple fourni les premiers exemplaires de ses nouvelles caméras 3D ARRI Alexa. Montées sur un Segway (un véhicule électrique monoplace à stabilisation gyroscopique), elles permettent de faire des travellings en relief fluides, avec une grande liberté de mouvement ! « La caméra est deux fois plus grosse que d'habitude », raconte Chloe Moretz. « A part ça, le tournage s'est déroulé comme d'habitude ! C'est le talent du réalisateur qui fait le reste... » Lorsqu'un cinéaste aussi illustre que Martin Scorsese nous invitera au cinéma en fin d'année, nous serons ainsi obligés de prendre le train en marche pour découvrir L'invention de Hugo Cabret !

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