THE PRODIGIES, La nuit des enfants rois - La révolte de jeunes mutants contre le monde adulte
Article Animation du Mardi 07 Juin 2011

L’un des plus célèbres romans de SF français devient un film d’animation âpre, émouvant et sans concession, porté par une esthétique puissante…

Par Pascal Pinteau

Paru en 1981, le roman La Nuit des Enfants Rois écrit par Bernard Lentéric (1944-2009) a remporté d’emblée un immense succès auprès du public adolescent et adulte, s’imposant comme l’un des nouveaux classiques de la Science-Fiction française. Son héros principal est un jeune adulte nommé Jimbo Farrar. Doté de capacités mentales inouïes, Jimbo sent qu’il n’est pas le seul dans ce cas, et que d’autres prodiges qui lui ressemblent vivent quelque part sur le territoire américain. Décidé à les trouver coûte que coûte, Jimbo imagine un moyen de les localiser et de les réunir. Il découvre ainsi cinq adolescents surdoués, capables de manipuler les esprits. Il y a d’abord Gil, 13 ans, issu d’un milieu social défavorisé, souffre-douleur de ses camarades. Il subit les brimades sans réagir, mutique, passif, comme indifférent au monde. Liza, 14 ans, est aussi intelligente que jolie. Sa mère la pousse à participer à d’innombrables castings pour devenir mannequin. En attendant de trouver mieux à faire, Liza se sert de sa beauté pour arriver à ses fins, et n’hésite pas à passer pour une bimbo si cela peut lui être utile. Sammy, 15 ans est un garçon obèse, très sensible, qui souffre des nombreuses incompréhensions qui se sont créées entre lui et son père. Plutôt que de dialoguer, ce dernier prive son fils de nourriture, et le gave de médicaments pour résoudre ses problèmes de poids. Lee, 13 ans, est frêle, introvertie, et ne parle presque jamais. Elle observe le monde avec le regard d’une écorchée vive. Elle garde ses pensées secrètes pour tenter de maîtriser les terribles pulsions de violence qui l’habitent…Hari, 14 ans, vit dans un ghetto noir. Dès le plus jeune âge, il a du agir en chef de famille, et subvenir aux besoins de ses frères et sœurs, délaissés par leur mère dépensière et irresponsable. Lassé de jouer les enfants modèles, et les pères de substitution, Hari a subi tant d’injustices qu’il rêve de prendre une revanche éclatante, et de se venger de tout ce qu’il a subi…Grâce à l’initiative de Jimbo, ces cinq êtres mal dans leur peau, portant chacun leur lot de doutes et de souffrance, se trouvent enfin des semblables lorsqu’ils sont réunis. Pour la première fois de leur vie, ils sont heureux…Mais ce bonheur est de courte durée : une nuit, dans Central Park, à New York, les cinq ados sont sauvagement agressés. Après avoir vécu l’horreur, ils décident d’agir ensemble pour se venger du monde entier, qui ne leur inspire plus que haine et dégoût. Les jeunes prodiges abîmés par la vie se liguent contre le reste de l’humanité, agissant sans laisser de traces, semant violence et destruction sur leur chemin. Jimbo doit alors faire un choix déchirant : doit-il lutter contre ses esprits jumeaux, ou céder aux pulsions destructrices qui le taraudent depuis toujours, et se joindre à eux ? S’il les suit, le monde sera plongé dans une longue nuit, la nuit des enfants rois….



Une œuvre culte

Salué par la critique, devenu le livre culte de plusieurs générations de lecteurs dans son édition de poche parue en 1982, La Nuit des Enfants Rois a suscité un tel engouement qu’il est inscrit par l’Education Nationale sur les listes des lectures conseillées dans les collèges et lycées. De par son sujet d’une actualité brûlante - l’incompréhension grandissante entre les adultes et les adolescents tentés par la violence - La Nuit des Enfants Rois est une œuvre éminemment pertinente, en phase avec ce début de 21ème siècle dans lequel tous les repères traditionnels se brouillent. Une grande aventure à la fois épique et intime. C’est le producteur Marc Missionnier, avec sa société Fidélité, qui a initié le projet de transposer l’œuvre de Bernard Lentéric au cinéma. Si le romancier à hélas disparu en 2009, il a été associé d’emblée au projet et en a suivi toutes les phases de développement, des premiers scripts destinés à un tournage en prises de vues réelles jusqu’à la décision d’adapter le roman sous la forme d’un long métrage d’animation. Si le scénario du film The Prodigies reprend bien les bases du roman original, il bénéficie aussi d’éléments nouveaux, ajoutés pour mieux refléter la société d’aujourd’hui. Les scénaristes Matthieu Delaporte & Alexandre De La Patellière (Renaissance) ont ainsi imaginé un jeu télévisé, American Genius (inspiré de American Idol / La nouvelle Star en VF), qui permet de rechercher les enfants surdoués sur tout le territoire américain, afin de trouver parmi eux des enfants rois. Exemple clinquant des dérives de notre monde régi par l’argent et l’image, American Genius devient le symbole de tout ce qui pousse les enfants rois à rejeter l’univers des adultes : l’émission corrompt ceux qui la conçoivent, et dans les coulisses, le respect des personnes n’est pas l’objectif majeur ! Les thèmes principaux du roman - le manque de dialogue entre les générations, les problèmes d’intégration et de solitude - sont ainsi illustrés de manière frappante, car le décalage entre les cinq adolescents en souffrance et ce monde artificiel de paillettes et d’images calibrées est énorme.

La MOCAP au service de la narration

Ayant particulièrement apprécié le travail réalisé par le producteur Aton Soumache sur le film d’animation Renaissance (Christian Volkmann – 2006), Marc Missionnier lui a proposé d’être le producteur associé du projet. Fort de sa grande expérience dans le domaine de l’animation par MOCAP (motion capture / capture de mouvement), Soumache proposa d’employer cette technique pour en faire l’un des éléments clé de la réalisation graphique du film. En raison du thème de The Prodigies, et du réalisme des situations décrites par l’histoire, il était évident qu’un traitement proche du cartoon ne pouvait être envisagé. De même, l’animation des personnages devait être ancrée dans le réalisme des émotions, l’âpreté des scènes de violence, et non dans la caricature des attitudes chère à Disney, Dreamworks ou Pixar. Contrairement à certains films précédents qui utilisaient la MOCAP, comme Final Fantasy ou Beowulf, The Prodigies ne cherche pas à « cloner » des comédiens en 3D hyperréaliste. Le but est ici de capter le meilleur du jeu des comédiens, puis de le transposer sur des personnages originaux, incorporés à un univers d’une grande richesse graphique. Elle permet de retranscrire les attitudes et les expressions de chaque comédien, à l’aide de capteurs disposés sur son corps et son visage. Les moindres battements de paupière, les gestes les plus subtils sont ainsi captés puis transférés sur les personnages 3D, qui bougent avec un réalisme incomparable.

Une démarche artistique atypique

C’est à Antoine Charreyron, jeune réalisateur qui a signé les séquences cinématiques de nombreux jeux vidéo (notamment Dead to rights (2002) , Tomb raider 6 (2002 ) , Shadow ops (2004 ) et Donjons et Dragons (2004 ) que Marc Missionnier, de Fidélité, et Aton Soumache, d’Onyx films, ont confié la mise en scène du film. Charreyron, qui avait lu La Nuit des Enfants Rois pendant son adolescence a été enthousiasmé par ce projet : « La Nuit des Enfants Rois était l’un de mes livres de chevet pendant mon adolescence ! Quand Marc Missonnier et Aton Soumache sont venus me proposer d’en réaliser l’adaptation, j’ai immédiatement accepté. The Prodigies repose sur un scénario extrêmement puissant, qui évoque les colères que l’on peut ressentir quand on est adolescent, et que l’on oublie plus tard. The Prodigies allait être un film épique, viscéral, rempli de sentiments exacerbés. Il était naturel d’aller vers un nouveau genre de cinéma, vers de nouvelles technologies comme la MOCAP et la 3-D Relief qui permettraient de renforcer l’expression visuelle de toutes ces émotions. La MOCAP, c’est le meilleur d’un tournage en « live », avec des acteurs, combiné à l’animation 3D. Elle permet de capter la sensibilité, l’humanité et les émotions des comédiens qui vont incarner les personnages, afin de transposer ces sentiments très forts sur les personnages animés. Elle nous a permis aussi d’exprimer des émotions subtiles, des choses très fines, dans les rapports entre les adolescents et les adultes. L’autre avantage, c’est que l’on peut faire appel à un acteur très sensible, puis à un cascadeur capables de prouesses physiques étonnantes pour incarner le même personnage dans les scènes d’action. On capte à chaque fois le meilleur de leurs performances, comme si l’on avait un « acteur universel », capable de tout faire devant la caméra ! » Viktor Antonov, le créateur de l’univers visuel du film, issu du design industriel et de la conception d’environnements de jeux vidéo, a choisi de styliser New York en s’inspirant de peintres comme Edward Hooper (le premier artiste qui représenta l’éclairage au néon), et de cinéastes comme Chris Cunningham et David Fincher qui emploient les longues focales pour isoler les personnages du décor qui devient diffus, estompé. Antonov utilise la signalétique et le mobilier urbain pour composer le graphisme des décors. Les grandes lignes droites des buildings se juxtaposent ainsi aux panneaux de signalisation, aux feux rouges, aux échafaudages des chantiers, aux boîtes de distribution de journaux, aux bouches d’incendie rouges et à tous les autres éléments caractéristiques des rues de la ville. Il a aussi imaginé trois niveaux de représentation des décors, pour exprimer graphiquement le ressenti des enfants rois. « Ces trois niveaux de représentation permettent de souligner l’importance des émotions des enfants rois dans le déroulement de l’histoire » ajoute Antoine Charreyron. « Le premier niveau, c’est le monde adulte que nous percevons tous, et qui est représenté de manière réaliste, sobre et élégante. C’est le monde « normal ». Il y a ensuite deux autres niveaux, qui expriment le fait que les personnalités de nos cinq ados sont encore en pleine construction, et qu’ils ont donc une vision de plus en plus déformée en fonction de l’intensité de leurs émotions. Dans le second niveau, j’utilise des caméras aériennes, avec des mouvements amples, des panoramiques à 360°, pour exprimer de manière allégorique leurs sentiments de doute, de peine et de joie. Le troisième niveau, celui de la colère des enfants rois et de l’utilisation de leurs pouvoirs, est vraiment la « signature visuelle » du film. Les décors s’estompent totalement, et on ne voit plus que les personnages adulte hideusement déformés, comme dans un cauchemar. Nous avons passé plusieurs années à développer un système d’utilisation des caméras virtuelles complètement nouveau, pour retranscrire toute la violence viscérale du déferlement de ces pouvoirs, pendant les scènes de combat. Nous utilisons des « Crash zooms », des mouvements extrêmement amples, des plans-séquences que seules la Mocap et la 3D peuvent permettre de réaliser. C’est l’un des grands atouts du film : disposer de cette technologie parfaitement adaptée à l’histoire, qui permet de retranscrire des émotions très fortes de manière inédite. »

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