Exclusif : Entretien avec Theo Kalomirakis, pionnier & magicien des Home Theaters
Article DVD Blu-Ray du Mardi 17 Aout 2010

A titre exceptionnel, ce n’est pas à la rencontre d’un artiste qui travaille pour le cinéma, la télévision ou le spectacle que nous vous convions, mais nous pensons que son oeuvre, véritable déclaration d’amour au cinéma, vous fascinera néanmoins. C’est en effet un entretien avec le pionnier incontesté du design des salles de projection privées, Theo Kalomirakis, que nous vous proposons aujourd’hui. Surnommé « The king of home theaters » grâce à la qualité de ses créations, et au soin qu’il apporte à leurs thématisations, Theo Kalomirakis a accepté d’évoquer pour ESI sa carrière et ses projets les plus alléchants…

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Theo Kalomirakis est né et a grandi en Grèce, à Athènes. Après avoir mené des études de cinéma et réalisé plusieurs courts-métrages primés dans sa ville natale, il a obtenu une bourse pour aller étudier à l’université de New York. Il y a obtenu une maîtrise de cinéma et de télévision, mais a finalement décidé d’employer ses connaissances dans le domaine de la direction artistique. C’est ainsi qu’il a conçu la présentation de plusieurs magazines pour le groupe Time Warner puis pour Forbes Inc. C’est après avoir construit sa propre salle thématisée que l’aventure des Home Theaters a débuté pour lui, comme il nous l’a raconté au cours de ce long entretien exclusif…

Pouvez-vous nous parler de vos années de formation, et de la raison pour laquelle pour avez choisi de devenir directeur artistique plutôt que chef décorateur ou réalisateur ?

Eh bien, j’ai d’abord étudié le cinéma en Grèce, puis à New York, et j’ai aussi trouvé là-bas un job de critique de cinéma dans un magazine. Je n’avais pas du tout envie de retourner en Grèce, et j’ai gagné ma vie de cette manière, en tant que journaliste. Comme j’ai toujours été un fou de cinéma et de musiques de films, j’étais heureux d’exercer cette profession. J’ai eu ensuite l’opportunité de créer le design de la page dans laquelle apparaissait ma rubrique, puis l’éditeur a voulu lancer un journal en anglais intitulé GREEK ACCENT destiné aux lecteurs d’origine grecque, et m’a demandé d’en devenir à la fois le rédacteur en chef et le directeur artistique. J’avais suivi des cours de design graphique en Grèce, mais je n’avais pas encore d’expérience dans ce domaine. Je me suis donc lancé dans ce projet, et le journal a été très bien accueilli, et a reçu plusieurs prix. Peu après,Time Warner m’a engagé pour créer le design du magazine DISCOVER, puis de MONEY MAGAZINE, et je suis intervenu aussi sur PEOPLE MAGAZINE. Je suis resté deux ans là-bas, de 1983 à 1985, puis j’ai été engagé par Malcolm Forbes, le fondateur de FORBES MAGAZINE, pour refaire le design de la revue de décoration AMERICAN HERITAGE , qu’il venait d’acquérir. Je suis resté là quatre ans, jusqu’en 1989.

Vous êtes devenu un spécialiste des Home Theaters un peu par accident, pouvez-vous nous raconter comment cela s’est passé ?

Oui. Pendant la seconde moitié des années 80, la vidéo était devenue peu à peu le nouveau divertissement domestique. Tout le monde s’était équipé de magnétoscopes Betamax ou VHS, et les amateurs de films se constituaient peu à peu leur cinémathèque. Un jour, vers la fin des années 80, j’ai vu une séquence d’un film sur un rétroprojecteur dans un magasin de vidéo, et j’ai été sidéré par la qualité de la reproduction de l’image. J’ai demandé au vendeur « Comment obtenez-vous une telle netteté ? », et il m’a alors présenté l’un des premiers lecteurs de Laserdiscs. Je suis immédiatement tombé amoureux de ce format. J’ai acheté le lecteur et quelques laserdisc, et quand je l’ai connecté à mon poste de télévision, le résultat n’était pas aussi bon que sur l’appareil du magasin. J’y suis retourné et j’ai acheté le rétroprojecteur, qui était un modèle Mitsubishi , dont l’écran était deux fois plus grand que celui d’un grand téléviseur. C’est ainsi que j’ai pris l’habitude de visionner chez moi des films sur un grand écran. C’était un plaisir fou, et l’accomplissement d’un rêve de gosse. Quand j’étais enfant, j’allais au cinéma pratiquement tous les jours. J’aimais tellement les films que j’en collectionnais les photos et les disques des bandes originales. Grâce aux cassettes VHS, j’avais déjà eu la possibilité de retrouver non seulement les images et la musique, mais aussi l’intégralité de mes films préférés, mais le Laserdisc et mon  rétroprojecteur me permettaient de me rapprocher des sensations que j’avais éprouvées au cinéma, parce que les images étaient de meilleure qualité, et que je pouvais les voir en grand. Mais malgré ce progrès, il manquait encore quelque chose : l’ambiance d’une salle de cinéma. Quand on regarde un film dans un salon, on est distrait par la lumière qui passe par les fenêtres, par les portes, mais aussi par les objets, les bruits…J’ai gardé ce rétroprojecteur dans mon living room pendant un an, puis j’ai déménagé de Manhattan pour m’installer à Brooklyn, dans un vieil immeuble de brique que j’ai acheté en co-propriété avec deux autres de nos amis. J’ai saisi cette opportunité pour transformer le sous-sol en salle de projection privée. C’était le tout premier Home Theater que je faisais, et je l’avais décoré comme une salle de cinéma basique. J’ai beaucoup d’amis journalistes, et comme ils ont adoré cette installation quand ils sont venus voir des films chez moi, ils en ont parlé dans leurs journaux respectifs. C’est ainsi que cette première salle a été décrite dans des articles du NEW YORK TIMES, de USA TODAY, puis dans des reportages à la télévision. En l’espace d’un an, je suis devenu une petite célébrité à cause de cette installation. J’étais devenu « le type qui avait eu l’idée folle d’installer une salle de cinéma chez lui ». Pourtant, il faut bien que j’admette que ce tout premier home theater n’était pas très abouti. Ce qui le faisait ressembler à une salle professionnelle, c’était le grand écran, et les trois rangées de sièges placées devant. Il ne bénéficiait pas d’un design élaboré. En voyant toute l’agitation médiatique créée par cette salle très simple, je me suis dit « Comment réagiraient-ils si je créais un vrai design de salle de cinéma ? ». Plus tard, j’ai revendu ma part de cette immeuble, et j’ai acheté un autre appartement, en grande partie parce qu’il avait un sous-sol assez grand, qui allait me permettre de faire ce que j’imaginais. J’ai donc créé non seulement une salle de cinéma décorée à l’ancienne avec une scène, un rideau s’ouvrant devant l’écran, des colonnes et des appliques, mais aussi une entrée avec une marquise, et j’ai baptisé cette installation LE ROXY. Quand les médias ont vu la salle, ils sont devenus fous. On a vu mon Home Theater partout dans la presse et à la télévision. C’est devenu un phénomène à l’échelon national ! A ce moment-là, beaucoup de gens qui avaient entendu parler du Roxy et qui avaient envie de posséder un équipement équivalent m’ont téléphoné. Ils me disaient « C’est génial ce que vous faites. Venez visiter notre maison, et créez-nous une salle de projection comme la vôtre. »

Comment avez-vous réagi ?

J’étais à la fois flatté et complètement désarçonné. Je gagnais bien ma vie en tant que directeur artistique, j’avais créé deux salles pour moi-même, et voilà que tout d’un coup, tout le monde voulait que je change de profession. Je n’étais pas vraiment décidé à sauter le pas. Les mois ont passé, et un an plus tard, Malcolm Forbes m’a téléphoné et m’a dit « Theo, j’ai vu les articles sur votre Home Theater. Pourquoi diable n’en faites-vous pas un autre ?! Qu’est-ce que vous attendez ? ». Je lui ai répondu « J’hésite à me lancer là-dedans. Qu’est-ce qui arrivera si ça ne marche pas ? », et du tac au tac, il m’a dit « Si ça ne marche pas, vous pourrez toujours revenir travailler pour moi. » C’est donc Malcolm Forbes qui m’a encouragé à sauter le pas. J’ai fondé une société et j’ai accepté une première commande, qui était destinée au fils d’Estée Lauder, la fondatrice de la célèbre société de cosmétiques. J’ai créé ce premier Home Theater pour sa maison de Southhampton, mais je continuais à exercer mon métier de directeur artistique chez Forbes Inc. J’étais persuadé qu’il n’y avait pas assez de fous de cinéma dans le pays pour me permettre de faire tourner ma société avec cette activité ! (rires) Ce premier travail était une sorte de test, et franchement, j’étais convaincu que cela tournerait court. Je réalisais les croquis des décors, mais j’ai dû engager quelqu’un pour dessiner les plans précis de l’installation, car je ne savais pas encore le faire. Pendant la construction de cette première salle, j’ai accepté une seconde commande, et je me suis dit qu’il fallait que je prenne des cours pour apprendre à dessiner mes plans moi-même. Je suis allé à l’Université de New York, où j’ai appris les bases du dessin architectural, et le maniement du logiciel 3D AutoCAD. A la fin de 1989, j’ai décidé d’aller jusqu’au bout de ma démarche, et j’ai quitté mon poste de directeur artistique pour ne m’occuper que de ma société, qui s’appelle TK Theaters. Après ces deux premières commandes, d’autres sont arrivées, et chaque année, leur nombre a doublé.

Combien de home theaters concevez-vous chaque année, à présent ?

Environ 80 par an. Jusqu’en 1997, nous travaillions seulement sur le territoire américain, mais à partir de 1998, nous avons reçu nos premières commandes d’autres pays, et nous avons réalisé des installations un peu partout : Russie, Suisse, Grèce, Angleterre, Australie, Autriche, etc.

Vous avez créé un marché, et de ce fait, d’autres sociétés se sont lancées dans ce créneau…

Oui, nous ne sommes plus les seuls aujourd’hui, mais nous sommes vraiment la seule société qui connaisse le problème par cœur, d’abord parce que nous avons créé ce métier, et aussi parce que nous ne faisons strictement que cela. La plupart des autres sociétés font un peu de tout, des magasins, des stands de foire commerciale, des terrains de jeux pour les enfants, tandis que nous avons choisi de n’intervenir que sur le design de Home Theaters. De ce fait, nous avons acquis une expérience unique au monde.

Pouvez-vous nous expliquer comment vous travaillez en nous racontant comment avez créé l’installation NILE, étape par étape ?

Volontiers. Nous avons reçu un appel d’un couple pour lequel nous avions déjà créé une salle dans leur résidence principale de Pasadena, en Californie. Ils l’avaient adoré, et quand ils ont acheté une résidence secondaire à Las Vegas, ils ont eu envie d’une décoration fun, qui évoque les styles des grands hôtels de la ville. Ils ont choisi un thème égyptien, et c’est ainsi que je leur ai proposé le design de l’installation NILE. Pour créer une ambiance de ce style, je commence par réunir de la documentation, des livres d’illustrations et de photos, et je vais visiter des musées. Nous avons essayé de transposer un certain type d’architecture égyptienne dans cette salle, qui n’est pas très grande. J’aimais bien les colonnes que l’on trouve dans les chambres secrètes de certaines pyramides. J’ai engagé un artisan local pour en sculpter des reproductions dans de vraies pierres. Les colonnes de la salle sont donc réellement en pierre. Ensuite, pour « agrandir » un peu les lieux, j’ai imaginé de disposer deux grandes peintures murales sur les côtés de la salle, afin de représenter des paysages des bords du Nil, tels qu’il étaient il y a deux mille ans. Plutôt que de disposer des rideaux devant l’écran, nous avons décidé d’être plus créatifs, et de créer un bas-relief en bronze, qui s’ouvre en deux quand on presse sur un bouton. Les deux parties du bas-relief sont déplacées par un mécanisme entraîné par un moteur électrique.

Quelles étaient les contraintes techniques de la salle ?

D’abord sa taille : 5,48m de large sur 7,31m de long. C’était un espace très petit pour réussir à créer une atmosphère égyptienne satisfaisante.

Avez-vous dessiné les esquisses des fonds peints vous-même ?

Non, je n’avais pas le temps de le faire moi-même. Quand je commence à créer un projet de ce genre, je rencontre plusieurs artistes freelances afin de choisir celui qui pourra créer la peinture murale la plus proche du style dont j’ai besoin. J’ai trouvé le peintre qui convenait et je lui ai remis les références visuelles que j’avais choisies. Je collabore souvent avec une société qui s’appelle Art Groove et qui est spécialisée dans les peintures murales. Ils avaient trouvé des photos et des références de peintures orientalistes en fonction des indications que je leur avais données, et cette banque d’images nous a servi d’inspiration. J’avais fait en plus quelques croquis très simples, et j’ai expliqué très précisément à l’artiste le rendu  que je voulais, et l’agencement des différentes scènes que l’on devait voir : les bords du Nil, des pêcheurs, des palmiers, des passants, et les pyramides au lointain. L’artiste a d’abord réalisé une maquette en petit format, que j’ai approuvée et qui a été soumise aux clients, qui l’ont approuvé eux aussi, puis il a réalisé les deux peintures à taille réelle sur des canevas, et elles ont été installées sur les murs latéraux.

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