MONARCH : LEGACY OF MONSTERS : Retour sur la création de la série-événement avec ses showrunners
Article TV du Mardi 26 Decembre 2023

Par Pascal Pinteau

Entretien avec les co-créateurs & producteurs exécutifs Matt Fraction et Chris Black, et le producteur exécutif & réalisateur Matt Shakman.

Une série aux allures de blockbuster

Matt, comment vous êtes-vous servi de votre longue expérience de scénariste de BD pour développer la série ?

Matt Fraction :
Les caractéristiques de l’écriture télévisée ressemblent beaucoup à ce que je faisais dans les comics. Et comme la seule chose qui a guidé ma carrière a consisté à écrire des histoires que j’aurais adoré découvrir en tant que lecteur, je choisis désormais des projets de séries ou de films qui correspondent à mes passions. J’aime les effets spéciaux, les kaijus et le côté étrange de tout cela. La série MONARCH réunit tout ce qui me plaît !

Chris et Matt, qu’est-ce qui vous a poussé à vous impliquer dans ce projet ?

Chris Black :
Beaucoup de choses. Je me souviens avoir vu les les films de la Toho quand j’étais enfant, sur la télé noir et blanc de mes parents. Ils m’ont tellement fasciné que j’ai espéré dès ce moment-là que j’aurais peut-être un jour la chance de participer à quelque chose qui y ressemblerait. Je me disais « Quel travail formidable ce serait ! » (rires)

Matt Shakman : C’est pareil pour moi ! Je les ai découverts assis sur les genoux de mon père, dans le canapé du salon familial, quand j’avais cinq ans. Nous avons vu ensemble tous les films de la Toho, et cela reste un merveilleux souvenir d’enfance. Ce qui est fascinant dans le personnage de Godzilla, c’est que les humains ne réussissent jamais à le comprendre. Il reste énigmatique, imprévisible. Sa puissance est sidérante. Dans ces films, il y a les meilleurs ingrédients du grand spectacle au cinéma : du mystère, de la terreur, des choses inexplicables. Dans la saga japonaise, Godzilla n’est ni bon ni méchant, car il détruit et protège selon les circonstances. Il possède toutes les qualités d’une star du grand écran ! C’est la raison pour laquelle son succès ne s’est jamais démenti, et ce qui pousse de nouvelles générations de cinéastes à s’intéresser à lui, pour illustrer les problèmes de leur époque.

Chris Black : Quand j’étais enfant, j’appréciais surtout les aspects spectaculaires de ces films, les trucages, les maquettes, les combats des créatures, les scènes de destructions...Plus tard, devenu adulte, j’ai pris conscience que les récits de ces films étaient beaucoup plus riches et significatifs que cela. Quand vous regardez le GODZILLA de 1954 dans son montage japonais original, c’est un film extrêmement mélancolique, marqué par les événements de la seconde guerre mondiale et les ravages causés par les bombes nucléaires larguées sur Hiroshima et Nagasaki.

Il y a même une scène où la jeune Emiko souhaite que les bombes atomiques ne soient plus jamais employées…

Chris Black :
Oui. Et le docteur Serizawa, le savant qui a trouvé le moyen de tuer Godzilla, décide de détruire ses notes et de se suicider, afin d’emporter dans la tombe le secret de cette arme terrible…Godzilla a toujours été une métaphore. Et elle reste valide et importante aujourd’hui, car l’humanité est sans cesse confrontée à de nouvelles menaces existentielles. Dans la nouvelle saga cinématographique, Godzilla ne devient pas un destructeur, mais un défenseur, un élément essentiel de notre écosystème et le gardien de l’équilibre de la planète. S’il n’était pas là, nous serions condamnés à disparaître. En abordant cette série, j’ai pensé qu’elle devrait d’abord concerner les membres d’une famille et leurs secrets. C’est ce qui nous a poussé à imaginer cette équipe formée par une sœur et son demi-frère, qui viennent à peine de faire connaissance et de découvrir que leur père n’était pas celui qu’il prétendait être. Leur quête de vérité nous entraîne alors dans un monde mystérieux, où tout gravite autour des monstres. Quand Matt Fraction et moi avons collaboré sur la création de la série, il a apporté sa sensibilité, sa vision et imaginé des personnages émouvants chacun à leur manière. Ils ont fonctionné comme le grain de sable que l’on insère dans une huitre et qui se transforme peu à peu en perle : toutes nos idées narratives se sont accumulées comme du nacre autour d’eux, et le récit est devenu profondément humain. Tous ces gens sont attachants, touchants. On se soucie vraiment de ce qui va leur arriver, et c’est précisément la clé de voûte de l’ensemble du projet. A partir du moment où ce lien émotionnel se noue avec les spectateurs, nos héros se lancent dans des aventures plus risquées, et font face à de nombreux dangers. Matt et moi avons apporté des sensibilités et des compétences différentes à l’élaboration de la série, mais nous nous entendons bien parce que nous aimons les mêmes films et avons les mêmes références de pop culture. Nos conversations sont toujours productives et distrayantes ! Ce partenariat a été plaisant, enrichissant et instructif. 

Matt Fraction : Il en a été de même pour moi ! Je voudrais ajouter qu’avant que Chris et moi construisions la trame de cette histoire et son formatage en dix épisodes, nous avons tenu à ce que tout soit aisément compréhensible pour les téléspectateurs qui n’auraient vu aucun des films de la saga. Je tiens donc à rassurer les visiteurs de votre site web et à dire qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un doctorat en histoire du Monsterverse pour pouvoir profiter pleinement de la série ! (rires) Personne ne sera pénalisé !

Comment êtes-vous parvenu à ce résultat ?

Matt Fraction :
C’est assez simple, en fait. Comme cette histoire débute en 2015, et révèle à nos personnages un tout nouveau monde où l’existence des kaijus est avérée, nous le présentons en même temps aux spectateurs qui font partie des nouveaux arrivants. Cela se passe de la même manière au cours des flashbacks dans les années 50 : Lee Shaw découvre lui aussi des choses nouvelles. Et l’autre côté positif de la médaille pour les super fans du Monsterverse, c’est l’opportunité de passer dix heures à explorer cet univers qu’ils apprécient déjà. Quand nous nous sommes demandés à quelle époque il fallait situer l’action de la série, nous avons examiné la chronologie de la saga cinématographique, et nous sommes rendu compte que les cinq années écoulées entre le GODZILLA initial de 2014 et GODZILLA II : ROI DES MONSTRES en 2019 seraient une période idéale. En effet, à partir de là, on sait ce que signifie Monarch, et la population reconnait la sirène d’alarme qui annonce que Godzilla ou un autre titan approche. Vous voulions raconter une histoire dont les protagonistes ont appris à vivre avec cette menace permanente. Les spectateurs vont faire leur connaissance, voir comme le groupe de nos héros va se former et vivre des aventures périlleuses. Nous avons imaginé de nombreux rebondissements pour renouveler les enjeux de l’intrigue, créer du suspense, et donner envie au public de suivre les dix épisodes de cette première saison.

Matt Shakman : Je peux attester que la manière dont Chris et Matt ont conçu la série permet à quelqu’un qui n’a vu aucun film de Godzilla de comprendre tout ce qui se passe, et comment fonctionne le Monsterverse.

Comment avez-vous imaginé les personnages qui allaient intervenir dans le passé et ceux du présent, ainsi que leurs liens respectifs avec Monarch et avec les Titans ?

Matt Fraction :
Nous savions dès le début qu’il fallait qu’un personnage récurrent lie le passé et le présent, et avons donc créé d’abord Lee Shaw. Il devient un guide précieux pour nos jeunes héros en 2015, car il sait énormément de choses sur Monarch et sur les titans. Dans le trio du passé, Keiko, la scientifique incarnée par Mari Yamamoto, devait être une sorte d’électron libre, une femme indépendante se méfiant des militaires. Et comme on a vu Bill Randa incarné par John Goodman dans KONG : SKULL ISLAND, nous avons suggéré à Legendary de le retrouver sous les traits de John dans la scène d’introduction de la série, et de l’inclure également à l’équipe des années 50, où il est joué par Anders Holm, et de faire de Bill le grand père de Cate. C’était intéressant que les membres de cette famille soient japonais et américains pour représenter les deux sagas. Les deux trios qui agissent à 70 ans d’écart ont beaucoup de points communs, notamment parce qu’ils sont constitués de marginaux à la forte personnalité. Leurs réactions sont devenues naturellement le moteur de la narration des épisodes.

Chris Black : Cette notion d’héritage est essentielle, comme l’indique le titre de la série. Il fallait raconter le développement de Monarch en s’appuyant sur trois générations de personnages : grands-parents, parents et enfants.

Matt Shakman : Chris et Matt ont trouvé de belles manières de lier les destins des personnages aux monstres. C’est cette mise en avant des humains dans la série qui m’a enthousiasmé, donné envie de contribuer à la produire et d’en réaliser deux épisodes.

Chris Black : Quand nous avons rencontré Matt pour la première fois, il a apporté le Godzilla avec lequel il jouait pendant son enfance. C’était une belle preuve de sa passion pour le personnage ! (rires)

Matt Shakman : J’aime aussi les films japonais récents, comme SHIN GODZILLA, et attends avec impatience de découvrir GODZILLA MINUS ONE… SHIN GODZILLA est un film extraordinaire, qui jette un regard critique sur la bureaucratie et la gestion des crises, propose des approches stylistiques nouvelles, et présente un Godzilla qui se crée littéralement au cours du film et continue à évoluer. Ce film prouve qu’il est toujours possible d’inventer de nouvelles manières d’utiliser ce personnage iconique.

Dans les cinq premiers épisodes que nous avons vus avant cet entretien, on découvre avec plaisir les événements du passé lointain, ainsi que certains moments précis des films que vous revisitez en adoptant les points de vue d’autres personnages. Tout cela forme une mosaïque temporelle vraiment intéressante, qui complète habilement ce que nous savions déjà…

Matt Fraction :
Merci. Nous étions conscients qu’avoir été choisis pour construire de nouvelles choses dans cet univers était un privilège et une chance. Nous avons abordé ce travail très sérieusement, afin de ne pas nous fourvoyer, trébucher et tomber.

Chris Black : Pour donner encore plus d’ampleur à cet univers et en découvrir d’autres aspects, nous avons « pointé la caméra dans d’autres directions » pour révéler des choses qui n’avaient pas été vues au cinéma. Dans les séquences que nous revisitons, initialement, le spectateur voyait Godzilla en action dans un axe. Dans la série, la caméra est braquée dans l’autre sens et vous permet de découvrir comment ces événements ont impacté les vies d’autres personnages, et de voir aussi des aspects différents de l’action.

Matt Fraction : Comme cela nous donnait l’opportunité de remonter jusqu’aux événements qui ont entraîné la création de Monarch après la Seconde Guerre mondiale, nous avons voulu décrire en détail les débuts de l’organisation. On voit que Monarch a été constituée pour des raisons valides, afin d’étudier les titans, et d’accumuler des connaissances pour assurer la survie de l’humanité. Dans la série, cela se fait de manière plus informelle et pittoresque, car à cette époque tout est organisé à l’échelle humaine, avec les moyens du bord. Cela crée un contraste amusant avec ce que l’on voit dans les films, quand l’action se déroule dans les bases secrètes gigantesques et les postes de commande ultra modernes de Monarch. On se dit alors que ce doit être un lieu de travail passionnant pour des savants, une sorte de « NASA des monstres » !

Chris Black : C’est la raison pour laquelle nous avons également choisi de changer de perspective envers Monarch, et de décrire comment notre groupe de jeunes personnages, Cate, Kentaro et May, observent ses agissements de l’extérieur. Contrairement aux héros des films, ils ne sont pas conviés aux réunions top secrètes ni aux briefings qui concernent des décisions stratégiques ! Non seulement ils ignorent ce qui se trame, mais Cate et Kentaro doivent encore découvrir de quelle manière leur père Hiroshi était lié à Monarch. L’héritage auquel le titre de la série se réfère est à la fois le leur, et plus largement celui des titans présents sur notre planète depuis des temps immémoriaux. Même si nos jeunes héros ne sont pas des scientifiques, la perspective d’en apprendre plus sur Monarch les fascine. Ce sont des gens ordinaires, et ce qu’ils entrevoient de ce monde secret est nouveau, extraordinaire et captivant.

Vous avez disséminé de nombreux clins d’oeil dans les épisodes, pour faire plaisir aux fans de la saga…

Matt Fraction :
Si vous êtes observateur, vous pouvez vous amuser à reconnaître ces références. Mais les spectateurs découvriront surtout de superbes décors, de nouvelles créatures et nouveaux titans, tout en apprenant comment des événements qui ont eu lieu à différentes époques se sont imbriqués pour aboutir à la situation présente. Le grand avantage d’une série, c’est de disposer de beaucoup de temps pour explorer ce monde, alors que c’est impossible au cinéma. Je crois que l’on a envie de rester attentif pendant les moments plus calmes des épisodes, parce qu’ils permettent de découvrir exactement qui a fondé Monarch, dans quelles circonstances, et avec quelles intentions initiales.

On sait que Godzilla et d’autres monstres de la saga apparaissent dans la série, mais comment avez-vous procédé pour imaginer les nouvelles créatures ?

Chris Black :
Il fallait faire évoluer cet univers selon les canons déjà établis, ce qui nous a permis d’utiliser ces lignes directrices quand Legendary nous a encouragé à inventer de nouveaux monstres et les histoires qui les concernent. Si vous me permettez cette comparaison pâtissière, pour utiliser le multivers dans la série, il ne fallait pas couper une seule tarte en plus petites parts : il fallait préparer plus de tartes ! Une série est un divertissement que l’on peut déguster tranquillement chez soi, et l’un des concepts brillants qui s’adapte bien à ce nouveau format avait déjà été développé dans KONG : SKULL ISLAND. Il consiste à jouer sur la taille des créatures. Elles ne mesurent pas toutes 120 mètres de haut, comme Godzilla. S’il existe bien une mégafaune et une flore gigantesque sur Skull Island, ces super-espèces se sont développées dans toutes sortes de tailles adaptées à leur environnement, leur manière de se déplacer et de se nourrir. A partir d’une idée initiale de nouvelle créature, nous tenons compte de cela pour déterminer l’échelle appropriée. Comme dans la réalité, une tout petite chose tapie dans l’obscurité peut vous tuer aussi efficacement qu’un grand prédateur. De ce fait, vous n’êtes pas en danger uniquement si un titan aussi colossal que Godzilla approche. Nous avons prévu des menaces dans tous les formats !

Aviez-vous écrit d’emblée le rôle de Lee Shaw en pensant à Kurt Russell et à son fils Wyatt pour incarner le même personnage à différentes époques, ou cette belle opportunité de casting s’est-elle présentée plus tard ?

Chris Black :
C’est la seconde option qui s’est présentée, tout simplement parce que le projet était en cours d’écriture bien longtemps avant que le processus de casting ne débute. Nous savions que Lee Shaw était un personnage très important, le seul qui apparaîtrait dans le passé et le présent pour lier ces deux trames temporelles du récit. Nous cherchions de grands acteurs avec notre directrice de casting, Ronna Kress, et dès que nous avons eu l’idée de proposer ce rôle à Kurt et Wyatt Russell, nous les avons contactés. Et cela tombait bien, car cela faisait longtemps qu’ils avaient envie de participer ensemble à un projet. On leur avait déjà proposé des rôles de père et de fils, mais jamais de jouer le même personnage. Dès qu’ils nous ont dit que cela les intéressait, nous n’avons plus cherché d’autres comédiens. C’était le casting idéal, et nous sommes heureux et chanceux de bénéficier de leur présence dans la série.

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