Exclusif : Entretien avec Mike Newell, le réalisateur de PRINCE OF PERSIA : LES SABLES DU TEMPS - Seconde partie
Article Cinéma du Mercredi 12 Mai 2010

Retrouvez la première partie de cet entretien


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quelles ont été les scènes les plus difficiles à concevoir, à storyboarder et à filmer ?

On pourrait penser qu’il s’agit des scènes d’action, mais en fait, ce n’est pas comme cela que les choses se sont passées. Certes, quelques séquences d’action ont été difficiles à réaliser. Je me souviens notamment que le réalisateur qui s’occupait de la seconde équipe de tournage est venu me voir un jour en me disant « Nous n’avons pas la moindre idée de la manière dont nous pourrions filmer cette scène… » Il s’agissait d’une séquence de poursuite qui se déroule sur les toits de la capitale du royaume. J’ai proposé que nous montions sur les toits pour y réfléchir. C’est ce que nous avons fait. Nous nous sommes donc retrouvés au sommet de cette casbah, dans cette vieille ville marocaine, et ce que devait faire Dastan m’a semblé immédiatement  évident : les décors dictaient les actions du héros : il devait escalade un mur qui se trouvait là, puis sauter d’un toit à l’autre un peu plus loin, puis se faire tirer dessus, puis éviter des flèches, puis tomber, puis se réfugier derrière tel créneau, puis courir, etc, etc. Ce n’était pas vraiment difficile de visualiser la manière de rendre cette scène spectaculaire et intéressante. La vraie difficulté est venu d’une autre séquence, qui se déroule dans une tente pas plus grande que le canapé sur lequel je suis assis en ce moment, et où Gemma et Jake doivent se réfugier pendant une terrible tempête de sable. Ce qu’ils se disent dans cet espace minuscule, à ce moment du film, concerne vraiment le cœur de cette histoire. C’est un moment essentiel du récit, dans lequel on révèle des choses importantes. Et se retrouver avec deux acteurs dans un espace aussi confiné, et avec un texte aussi important à faire vivre, c’est terriblement difficile à faire. Cette séquence a été un tel casse-tête de réalisation qu’elle nous a causé plus de travail que n’importe quelle autre. Bien sûr, la scène de l’attaque de la cité fortifiée que vous avez vue ce matin était également difficile à préparer et à tourner, mais les solutions pour résoudre ces problèmes-là étaient nettement plus évidentes.

Quelles sont les solutions que vous avez trouvées pour résoudre le problème de la scène de la tente ?

Tout miser sur le jeu des acteurs. Retourner aux bonnes vieilles bases de la comédie. Dans un espace aussi confiné, cela restait toutefois très difficile. Vous avez à raconter des choses qui concernent cette grande histoire épique, et pour le faire, tout ce dont vous disposez, ce sont les acteurs et quatre parois de toile ! La seule façon de s’en sortir, c’est que les comédiens jouent très bien la scène et soient captivants pendant qu’ils le font.

Aimeriez-vous réaliser d’autres épisodes de PRINCE OF PERSIA ?

Je n’en sais rien. Il faudrait déjà qu’ils me le demandent ! Et je ne crois pas que quiconque dans l’équipe en ce moment parte du principe qu’il y aura d’autres épisodes. Ils veulent déjà voir ce que sera le score du film au boxoffice. Je suis certain qu’ils l’espèrent, car les suites rapportent généralement plus d’argent que les premiers épisodes, parce que les spectateurs ont davantage confiance. Ils se souviennent du premier volet, ou ont eu l’occasion de le voir en DVD s’ils l’ont raté au cinéma. Je crois que tout ce qui a été fait pour l’instant à propos d’une suite a consisté à jeter quelques idées d’histoires envisageables sur le papier. Mais rien d’autre.

Découvrira t’on des créatures monstrueuses dans le film ?

Non, car l’histoire est plutôt consacrée à la nature humaine, et à la manière dont elle vient bouleverser les choses. L’élément irrationnel et fantastique de notre récit, c’est vraiment le sable magique et son pouvoir d’influer sur le déroulement du temps.

La raison pour laquelle nous vous posons cette question, c’est que l’on trouve beaucoup de créatures surnaturelles, notamment des « boss » de fin de niveau, dans les différentes versions du jeu…

Il y en aura peut-être dans une suite du film…Qui sait ?

Quand on voit vos films, on est d’abord frappé par leur qualité, et par le fait que vous êtes à l’aise dans tous les registres. Vous avez travaillé pendant longtemps pour la télévision anglaise, puisque votre première réalisation remonte à 1964. Vous y avez réalisé des drames, des fictions comiques, des thrillers. Avez-vous aimé cette première partie de votre carrière, et est-ce là le secret de votre capacité à réussir brillamment dans des genres aussi différents ?

Merci pour vos commentaires sur mes films. Oui, effectivement, j’ai adoré travailler pour la télévision, et oui, ça a été pour moi un apprentissage absolument formidable. Pendant les années 60 et 70, il n’y avait pas encore une véritable culture du cinéma britannique dans ce pays. Nous faisions surtout des petits films à destination d’Hollywood, et nous étions complètement dominés par le cinéma américain. Nous étions ses vassaux, ses sujets oeuvrant outre-Atlantique. En fin de compte, nous nous sommes libérés de ce joug parce que disposions de merveilleux auteurs comme Dennis Potter, et de formidable réalisateur comme Mike Leigh, John Sleschinger et Ken Loach. Ils travaillaient tous pour la télévision. On avait coutume d’en plaisanter et de dire que le cinéma anglais était vivant et en bonne forme et résidait à Sheperd Bush, qui est la partie de Londres où se trouve le quartier général de la BBC ! (rires) C’est là, à côté de la BBC, que travaillaient tous les professionnels des différentes sociétés de production anglaises. Et chaque compagnie fonctionnait comme une machine. C’était presque comme si nous étions chargés de créer à l’intérieur d’une moulinette qui débitait de la nourriture pour alimenter les programmes de la BBC. Tous les deux mois, un script atterrissait sur votre bureau. Vous disiez « Qu’est-ce que c’est que ça ? » On vous répondait « C’est ce que vous allez tourner ! » Ce à quoi vous rétorquiez « Mais j’en serai totalement incapable ! » avant d’entendre « Vous feriez mieux d’y réfléchir dès maintenant parce que vous commencez à tourner dans huit semaines ! » (rires) Et il fallait donc être capable de mettre en scène tout ce que l’on vous donnait à filmer. La question du choix des sujets ne se posait pas le moins du monde ! J’ai commencé ma vie professionnelle au sein d’une société dont j’étais l’employé, ce qui voulait dire que nous fonctionnions comme s’il c’était agi d’un grand studio américain de l’âge d’or, les moyens financiers en moins ! On nous disait ce que nous devions faire. La chance que j’ai eue, c’est que j’étais employé par une société qui produisait des programmes de grande qualité, et qui s’appelait Granada. Ses dirigeants avaient un goût impeccable. L’un d’entre eu avait écrit le livre le plus réputé sur les concertos de piano écrits par Mozart. Vous imaginez la culture de ces gens-là ! C’était presque comme si je me trouvais dans une faculté ou l’on étudiait le cinéma. C’était formidable. Mais Granada dépendait bien sûr de la BBC qui achetait et diffusait ses programmes. Ils se considéraient donc comme une « branche indépendante » de la BBC. Ce que nous avons appris en travaillant pour eux, c’est qu’aucun sujet n’était hors de notre portée si nous le développions bien. De toutes manières, nous n’avions pas d’autre choix que de les réaliser ! Cette période de formation m’a donc aidé énormément pendant tout le reste de ma carrière, et ce fut aussi un entraînement qui m’a appris aussi à quel point le scénariste est la vraie star de cette profession. Au sein de Granada, les réalisateurs n’étaient pas des vedettes. Mais si un script écrit par Dennis Potter aboutissait sur votre bureau, eh bien vous aviez sacrément intérêt à le mettre en scène du mieux que vous le pouviez ! Les auteurs étaient les vraies stars, et c’était parfait que ce soit ainsi !

La comédie QUATRE MARIAGES ET UN ENTERREMENT  et le thriller policier DONNIE BRASCO sont deux réussites exemplaires. Pouvez-vous évoquer un souvenir de chacun de ces tournages ?

En ce qui concerne QUATRE MARIAGES ET UN ENTERREMENT , l’un de mes premiers souvenirs est la conversation téléphonique que j’avais eue avec le chef opérateur que je tentais de convaincre de venir travailler avec moi sur le film. Au moment où je l’ai eu en ligne, sur son portable, il était en train de se reposer sur une plage des environs de San Francisco. J’avais déjà tourné avec lui deux fois, et je l’appréciais beaucoup. Il est écossais et n’a pas pour habitude de mâcher ses mots. Je lui ai dit « Mickey, je sais que tu es disponible en ce moment, et j’aimerais que tu fasses ce film avec moi. Nous n’avons que 35 jours pour le tourner, mais le thème de l’histoire est formidable. » et j’ai continué à développer un peu. Il m’a interrompu en me disant « Laisse-moi t’arrêter là, Mike ! Ce n’est pas le thème qui importe, mais ces satanés, maudits  35 jours ! » (rires) Après avoir râlé, il a accepté de relever le défi et nous avons réussi à tourner le film en 35 jours, ce qui n’est rien quant on y pense, parce que nous devions mettre en place ces cinq grands événements que sont quatre mariages et un enterrement ! Sans compter toutes les autres séquences du film ! Je me souviens aussi que nous avions de terribles problèmes financiers. Naturellement, quand nous préparions le film, personne n’imaginait qu’il aurait autant de succès dans le monde entier. Il a coûté moins de cinq millions de dollars, et il en a rapporté 250 ! Personne ne pouvait croire à un tel triomphe. Chaque fois que nous voulions faire quelque chose, nos différentes sources de financement nous disaient « Non ! C’est trop ! Vous ne pouvez pas dépenser autant ! Qui voulez-vous pour le rôle principal ? Hugh qui ? Hugh Grant ? Mais qui est ce ? » Et à cause de ces tergiversations, nous avons perdu presque toutes nos occasions de caler les dates de tournage du film avec les acteurs. Nous devions tourner en automne 1993, et nous ne l’avons fait qu’au début de l’été 1994. A cause de ce retard, Hugh avait fini par perdre patience et il était parti tourner un film en Australie. Les producteurs m’ont dit « Il va falloir changer d’acteur pour le rôle principal. » Je leur ai dit « Non. Nous allons l’attendre. » Tout le monde m’a dit « Mais pourquoi donc ? ! Tu a rencontré des dizaines d’autres comédiens !» Ce à quoi j’ai répondu : «  Il n’y a que Hugh qui soit capable de dire ces répliques et de les rendre hilarantes. C’est lui le personnage et personne d’autre. »Nous l’avons attendu, et le reste a prouvé que cela en valait la peine.

Et en ce qui concerne DONNIE BRASCO ?

Johnny Depp était terriblement impressionné par Al Pacino. Il avait une admiration folle pour lui. A l’époque, Johnny était connu, mais il n’était pas une star. DONNIE BRASCO l’a aidé à atteindre ce statut, en attendant que PIRATES DES CARAÏBES  fasse de lui une superstar. Il était donc très respectueux vis à vis d’Al et un peu effrayé par lui. Nous tournions une scène dans une voiture en train de rouler, et c’était très pénible pour les acteurs, comme ça l’est toujours. Ils ne peuvent pas sortir de l’habitacle, ils sont entourés de projecteurs, et encombrés par tout un tas de matériel technique… Bref, c’est très contraignant. Diriger des acteurs qui sont dans cette posture n’est guère plus agréable, car la caméra les filme généralement au travers du pare-brise. Vous pouvez leur parler, mais uniquement grâce à un micro et un casque que vous portez sur les oreilles, et vous ne les voyez que sur un tout petit moniteur vidéo. Communiquer est très difficile. Nous étions donc en train de rouler, avec le véhicule qui tractait la voiture dans laquelle se trouvaient Johnny et Al et nous passions dans les petites rues qui se trouvent sous le pont de Brooklyn, à New York. Et soudain, j’ai entendu le son d’un énorme pet résonner dans l’habitacle de la voiture. Ce n’était pas un petit bruit, mais une véritable déflagration…Et Johnny, confus, a dit « Oh, je suis vraiment désolé…Toutes mes excuses. » Al lui a répondu « Ne t’en fais pas, ce n’est pas grave. » Nous avons continué à rouler, et une nouvelle détonation nous a fait sursauter. Johnny était consterné. Il ne savait plus où se mettre « Oh mon dieu, pardon, pardon. Je ne sais pas quoi dire… »Al lui a dit «Ne t’inquiète pas » et il a baissé la vitre de sa portière pour faire circuler l’air dans l’habitacle. Et ça s’est produit une troisième fois. Al n’en croyait pas ses oreilles. Il s’est mis à regarder Johnny, complètement sidéré. Et à ce moment, Johnny a retiré de son siège le coussin péteur qu’il y avait discrètement glissé auparavant. (rires) Cueilli par la surprise, Al a éclaté de rire et ne pouvait plus s’arrêter ! Johnny avait l’air si sincèrement désolé qu’il était impossible de deviner qu’il s’agissait d’une blague. Al était mort de rire. Il en pleurait ! Il a voulu essayer le « maniement », si j’ose dire, du coussin péteur, mais il n’est jamais parvenu à en tirer un bruit convaincant ! Johnny était devenu un virtuose inégalable. Evidemment, à partir de ce moment-là, la glace a été définitivement  rompue entre Johnny et Al, et ils se sont entendus comme des larrons en foire.

Découvrez la suite de cet entretien dès la semaine prochaine !


[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.