Exclusif : J.J. Abrams, un nouveau pilote aux commandes de Star Trek
Article Cinéma du Samedi 16 Mai 2009

Seconde partie de notre entretien

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Dans cette seconde partie de notre entretien (retrouvez la première partie ici) avec J.J. Abrams, créateur des séries Felicity, Alias, Lost et Fringe , et réalisateur de l’excellent Mission Impossible 3, nous abordons le problème du choix des jeunes acteurs chargés de succéder à William Shatner, Leonard Nimoy et au reste du casting original. Un sacré défi à relever, car il fallait convaincre à la fois le grand public et des millions de fans particulièrement attentif à la qualité de l’adaptation de leur série culte !

Kirk et Spock sont les personnages principaux de la série originale, et en tant que tels, leurs aventures passées et leurs trajectoires personnelles ont souvent été évoquées dans les épisodes des années 60, comme dans les films. Avez-vous profité de ce film pour développer aussi le passé des personnages secondaires, dont on connaît très peu de choses ?

Nous n’avons pas voulu encombrer le film en le saturant de détails très précis sur le passé de ces personnages. Nous avons préféré procéder par petites touches, de manière discrète et naturelle. Par exemple, on devine ce que le Docteur McCoy, surnommé « Bones », a vécu avant de rejoindre la flotte spatiale. On apprend aussi des petites choses sur Sulu, Chekov, Uhura, et Scotty. Dans ce film, nous avons la possibilité de montrer la première rencontre de ces personnages, ce qui est formidable. Mais il ne fallait surtout pas trop en faire, sinon, ces scènes seraient devenues des hommages pesants à ces personnages bien connus et très aimés des fans. Il fallait éviter à tout prix de tomber dans le piège du sentimentalisme ! L’intérêt de cette première aventure commune, c’est de découvrir comment les chemins de ces individus très différents se croisent, sans insister trop lourdement sur ce point. Les premières interactions de ces hommes et de ces femmes qui vont former une équipe par la suite sont très importantes. Ce sont les fondations de tout ce qui va suivre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le premier épisode de Star Wars et le premier volet de la trilogie Matrix ont une telle aura. On découvre un jeune fermier ordinaire qui rêve de devenir pilote, un employé de bureau banal qui remarque des choses étranges autour de lui, et pendant leur aventure, ils rencontrent des inconnus qui vont changer leur vie à jamais. Quand leur première aventure se termine, ces inconnus sont devenus des amis et des équipiers pour lesquels nos deux héros éprouvent du respect et de l’affection. C’est la définition même d’une grande aventure : vous êtes seul quand elle commence, et quand vous êtes allé au bout de ces évènements, vous vous retrouvez entouré par une nouvelle famille.

Votre casting est formidable. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur chacun de vos acteurs principaux ?

Commençons par Chris Pine. Au départ, je pensais que le rôle le plus difficile à attribuer serait celui de Spock. Les toutes premières auditions étaient destinées à choisir l’acteur qui l’incarnerait. Je connaissais Zachary Quinto, je savais que c’était un bon comédien, et je trouvais qu’il avait une certaine ressemblance avec Leonard Nimoy. Nous nous sommes rencontrés, et je l’ai rapidement choisi. C’était un coup de chance qu’il soit disponible et que le rôle l’intéresse. Cela a donc été facile. Nous sommes passés aux autres personnages, en nous donnant plus de temps pour trouver le nouveau Kirk. Les castings ont eu lieu dans le monde entier. Nous avons cherché la nouvelle Uhura et avons trouvé Zoe Saldana, qui est une personnalité… incandescente ! Elle a un charisme incroyable, elle est sexy, dure à cuire, intelligente. Elle était vraiment une Uhura idéale. Pour Chekov, je voulais trouver quelqu’un qui soit crédible dans ce rôle d’officier russe. Anton Yelchin est né en Russie, et savait donc que les russes qui parlent anglais n’ont pas vraiment de problèmes pour prononcer les v et les w, comme le faisait le Chekov original ! (rires) Mais il ne rechignait pas à reprendre cet accent-là dans le film. C’est un acteur formidable. Quand nous avons cherché un nouveau Sulu, John Chow nous a tous épatés. John est très drôle et très intelligent, et il nous a époustouflé par la qualité de son jeu. Il est toujours juste, et vous convainc de la réalité de la situation, quoi qu’il fasse. Il nous a sidéré tout au long du tournage. Karl Urban a souvent joué les héros à la carrure impressionnante ou les méchants redoutables, comme lorsqu’il était l’adversaire de Jason Bourne. Qui aurait pu prévoir qu’un acteur aussi bon dans les rôles sombres et très physiques avait un tel talent comique ? Quand on se souvient de lui dans Le seigneur des Anneaux, par exemple, on a du mal à imaginer que ce guerrier infatigable puisse devenir « Bones » (surnom que l’on pourrait traduire par « sac d’os »), le docteur à la fine silhouette et à l’humour acerbe. Karl est devenu McCoy à un tel point que c’en est presque devenu bizarre. Il aime tellement Star Trek qu’il donnait l’impression de faire parler DeForrest Kelly (l’interprète original) à travers lui ! C’en était troublant ! Arrivés à ce point, il ne nous restait plus qu’à dénicher…le personnage principal ! (rires). Nous nous sommes retrouvés dans une situation assez tendue, car nous avions assemblé tout l’équipage, sauf Kirk, ce qui est exactement le contraire de ce qui se passe d’habitude , pendant la préparation d’un film. Quand Chris Pine est arrivé, il était évident qu’il avait l’aura d’une future star, et qu’il débordait d’énergie et d’enthousiasme. Il était cependant modeste, et ne se déplaçait pas accompagné d’un « entourage » d’agents, d’avocats et de conseillers comme certains acteurs le font systématiquement. Il était drôle, doué, intelligent et parfait pour le rôle. Je dois dire que j’ai eu une fois de plus beaucoup de chance avec mes acteurs. Par le passé déjà, qu’il s’agisse de Felicity, Alias, Lost ou Mission impossible 3 avec Tom Cruise, j’ai toujours eu la chance de travailler avec des acteurs qui comprenaient parfaitement l’esprit du projet. Chaque jour, je remerciais dieu de m’avoir donné la possibilité de travailler avec Keri Russel, Jennifer Garner, Matthew Fox, Evangeline Lily et Tom. Dans chacun de ces projets, j’étais content des scripts, de la qualité des décors et des effets spéciaux, mais par-dessus tout, j’étais fier d’avoir pu réunir un casting de cette qualité. Star Trek, c’est la même chose : nous avons un casting exceptionnel et trouver Chris Pine à la dernière minute a été une vraie bénédiction !

Ce qui est frappant dans les extraits de « Star Trek » que vous nous avez dévoilés, c’est la beauté des images. Nous avons eu l’impression qu’il était très important pour vous de rendre ces visions de l’espace aussi excitantes que possible, comme si l’on redécouvrait le spectacle d’un voyage spatial…

Merci beaucoup. C’était notre intention ! Il y a énormément d’autres scènes que vous n’avez pas encore vues qui se déroulent dans l’espace, et je crois qu’elles vous plairont beaucoup aussi. Je voulais que ces images paraissent crédibles, organiques, tangibles. A notre époque, les technologies des effets visuels , de la 3D, et l’utilisation fréquente du fond vert permettent de faire beaucoup de choses. Mais à force d’utiliser ces outils-là, on risque de donner le sentiment que les acteurs sont perdus dans un univers virtuel, si on ne prend pas garde à mêler régulièrement le vrai et le faux. Je tenais à ce que les spectateurs aient l’impression d’être plongés au cœur de l’action. C’est la raison pour laquelle nous avons tourné le plus souvent possible en décors extérieurs, dans de vrais endroits, pour ancrer le film dans la réalité. Nous n’avons utilisé des décors de plateau que lorsqu’il s’agissait de la seule option envisageable.

Quelles sont les grandes réussites et les petits détails de « Star Trek » dont vous êtes le plus fier ?

Ça vous paraîtra sans doute étrange, mais pour je ne sais quelle raison, le petit détail que j’aime le plus, c’est cette salière en forme de vaisseau spatial que Kirk tripote machinalement pendant la scène où le capitaine Pine l’incite à faire quelque chose de sa vie, et à rejoindre la flotte spatiale. J’adore voir Kirk avec ce petit objet en forme de vaisseau dans ses mains, à ce moment précis où il doit prendre la décision la plus importante de toute sa vie ! Dans ce film, on traverse la galaxie, on découvre des planètes, on assiste à des batailles spatiales titanesques, des combats spectaculaires, mais ce petit détail de la salière me ravit ! C’est comme si ce détail minuscule évoquait à lui seul tout l’univers de Star Trek. Comme si l’infiniment petit et l’immense se rejoignaient. En ce qui concerne la plus grande réussite du film, c’est sans hésiter la troupe d’acteurs et l’équipe technique que nous avons réunies. Nous avons fait le même travail d’équipe tous les jours : nous donner tous à fond pour nous assurer que ce film soit réaliste, dynamique, vivant, et qu’il respecte l’esprit de Star Trek. Notre but commun, c’était d’abord de raconter l’histoire d’un groupe de gens exceptionnels. Et il se trouvait que c’était dans l’univers de Star Trek que cette histoire-là se déroulait. C’est ainsi, et dans cet ordre de priorité, que nous avons abordé le film.

Justement, est-il conçu pour être le premier épisode d’une trilogie ?

Pendant l’écriture du script, nous avons eu des idées que nous n’avons pas utilisées dans ce premier film, comme vous vous en doutez. Certaines de ces idées pourraient ouvrir la voie à des suites. Mais il faut d’abord attendre de voir quel accueil sera réservé à Star Trek. Si le film est bien reçu par le public, alors, nous serons ravis de retrouver ces personnages et d’imaginer de nouvelles aventures.



Vous souvenez-vous d’un moment de découragement particulier et d’un moment de grande joie pendant le tournage ?

Oh, il y en a eu tellement…Presque tous les jours ! Mais je me souviens du moment où nous tournions un scène qui se passe à bord du vaisseau romulien. Nous filmions des soldats romuliens en train de s’approcher de la caméra, et en voyant ce que ça donnait sur le moniteur, je me suis dit « C’est nul ! On dirait une séquence d’un mauvais clip de boys band ! » (rires) J’étais complètement déprimé, car je voyais que ce plan allait être désastreux. J’ai essayé de trouver une autre idée. Et finalement, on a tourné la scène en partant d’un plan flou, dans lequel les personnages qui s’approchent deviennent de plus en plus nets. Et ça a marché ! Ça leur donnait un air inquiétant qui correspondait bien à l’ambiance de la scène. Il se trouve que ces efforts n’ont servi à rien, parce qu’en fin de compte, nous avons été obligés de couper toute cette séquence ! (rires) Il y a beaucoup d’autres moments du tournage pendant lesquels j’étais tendu, parce que je savais qu’ils étaient très importants, et qu’ils représentaient des défis. Certains étaient purement liés aux techniques que nous devions mettre en oeuvre, tandis que d’autres reposaient sur mes capacités de metteur en scène. Et là, il ne fallait pas que je me trompe…Les grands moments de joie, je les ai ressentis quand j’ai vu les acteurs devant la caméra, en train d’interpréter à la perfection un des moments-clés du film. Et cela, je l’ai ressenti bien souvent, malgré la tension due à mes responsabilités de réalisateur. C’était l’enjeu le plus important de ce projet : que l’équipe d’acteurs forme un ensemble qui fonctionne parfaitement. Je ne me suis jamais fait de souci à propos des effets visuels, des effets de plateau, des cascades, des décors, ni d’aucun autre des aspects techniques du film.

Quelle impression avez-vous ressentie en travaillant avec Leonard Nimoy ? Avez-vous parlé avec lui de ce qui constitue « l’esprit de Star Trek » ? Et a-t’il prodigué des conseils à Zachary Quinto, qui lui succède dans le rôle de Spock ?

C’était formidable. Je trouvais à la fois absurde et incongru de me retrouver dans la position de réalisateur, en train de lui donner des indications, à lui ! (rires) Leonard est tout simplement une légende. Un grand artiste, qui excellent dans bien des domaines. (NDLR : Après avoir publié des recueils de poèmes, Leonard Nimoy est devenu photographe, depuis déjà quelques années) C’est ce que je lui ai dit pendant notre première journée de tournage en commun : « Comment voulez-vous que je vous dise quoi que ce soit sur la manière d’incarner Spock ? Vous êtes Spock ! Vous avez créé ce personnage. ». Mais il a posé la main sur mon épaule, et m’a dit « Non, non. Dites-moi ce que vous voulez faire, je vous écoute. » Il était totalement ouvert à mes suggestions, ce qui en dit long sur sa gentillesse et son humilité. Travailler avec Leonard a été un grand plaisir. A un moment, nous tournions une scène avec Zachary dans le rôle de Spock, et Leonard était à mes côtés devant le moniteur pendant que nous le regardions jouer. C’était évidemment un moment particulier pour Leonard, presque surréaliste, car il voyait le jeune Spock évoluer devant lui, comme s’il s’était dédoublé ! Je me suis penché vers Leonard et je lui ai demandé discrètement ce qu’il pensait de l’interprétation de Zachary. Il m’a dit « C’est très bien. Zachary a parfaitement compris le personnage. » J’étais à la fois soulagé et ravi. Leonard a été adorable avec Zachary, et l’a soutenu personnellement et publiquement dès le début de cette aventure, ce qui a été une aide immense pour nous. Et Zachary a fait un travail remarquable pour incarner ce personnage devenu culte. Je me répète, mais j’ai eu énormément de chance !

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