MICKEY 17 : Entretien avec le scénariste, réalisateur et producteur Bong Joon Ho - 2ème partie
Article Cinéma du Vendredi 04 Avril 2025

Vous ne cessez de réaliser des films singuliers et profonds qui explorent la société de manière originale. Qu’est-ce qui vous inspire et, plus précisément, qu’est-ce que vous recherchez quand vous vous engagez dans un nouveau projet ??

Pour trouver l’inspiration, je crois qu’il faut être curieux de tout, en permanence, dans sa vie personnelle. Bien entendu, on peut s’inspirer de films, de BD et de romans, mais je tâche de rester perméable à mon environnement quotidien. C’est ce qui m’inspire le plus, si bien que je fais en sorte d’être constamment aux aguets.

À partir du moment où vous vous engagez dans un projet, comment se passe l’écriture ? À quel moment savez-vous que le scénario est abouti ??

L’écriture est une étape solitaire et très pénible (rires). Parfois, je n’ai pas du tout envie de m’y mettre. C’est très dur. Mais, bien évidemment, je dois m’y coller. Je suis auteur-réalisateur depuis longtemps et j’écris tous mes scripts, si bien qu’on pourrait se dire que c’est mon destin. Mais je sais toujours que le scénario sera finalisé en six ou huit mois, et j’affronte donc le travail d’écriture avec cela en tête. J’essaie de m’isoler au maximum. Car j’écris mieux quand je suis seul.

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans l’histoire de MICKEY 17 et qui vous a convaincu de faire ce film ??

Rien qu’en lisant le résumé du roman, j’ai tout de suite été captivé. Et bien évidemment, en me lançant dans la lecture du livre, j’ai été de plus en plus absorbé par l’intrigue d’autant que j’ai trouvé le concept de la réplication humaine d’une singularité totale – et très différent du clonage. Et j’ai trouvé que dans les termes mêmes de l’expression réplication humaine, on sentait toute la dimension tragique de la condition des « Remplaçables. » Je me suis alors demandé ce que ça ferait d’être cette personne répliquée. Alors que ces réflexions me traversaient l’esprit, je me suis immédiatement plongé dans cet univers. J’ai aussi été captivé et séduit par le personnage de Mickey Barnes. Dans le roman, Mickey est quelqu’un d’assez banal, mais je voulais faire de lui quelqu’un d’encore plus banal, encore plus ordinaire – un type issu d’un milieu modeste qui n’a pas fait grand- chose de sa vie. Très vite, j’ai eu ces idées pour adapter le livre. Encore une fois, j’ai été captivé par le concept de réplication humaine et par le personnage de Mickey qui n’a rien d’un super-héros, mais qui est un type banal, ordinaire, à qui il arrive une aventure insensée.

Vous êtes réputé pour croiser les genres et vous les approprier. Quel équilibre entre les différentes tonalités avez-vous souhaité établir ? Et comment vous y êtes-vous pris ?

On me pose souvent cette question. On me dit que mes films mêlent plusieurs genres et on me demande comment je parviens à le faire. Ou bien on m’interroge sur la manière dont j’orchestre les ruptures de ton présentes dans mes films. Mais en réalité, ce ne sont pas des choix conscients. Je ne me fie qu’à mon instinct quand j’écris, et quand j’ai terminé, je me demande moi-même à quel genre le film va bien pouvoir se rattacher.

À quel moment Robert Pattinson vous a-t-il intéressé comme acteur ?

Tout le monde le connaît depuis HARRY POTTER ET LA COUPE DE FEU, mais je l’ai découvert sous un autre jour dans GOOD TIME des frères Safdie et THE LIGHTHOUSE [de Robert Eggers] où son jeu est fascinant. C’est avec ces deux films qu’il a vraiment pris une autre dimension. De même, dans THE BATMAN où je l’ai vu s’approprier totalement un personnage mythique. Je me suis dit qu’il aurait envie de relever le défi d’incarner Mickey 17 et Mickey 18, que ce serait exaltant et qu’on allait s’inspirer l’un l’autre.

Comment Robert Pattinson a-t-il enrichi le personnage que vous aviez écrit, à travers la voix, l’attitude, la gestuelle ? Comment a-t-il réussi à donner une véritable incarnation à cet être initialement banal ?

En écrivant le scénario, j’ai ajouté pas mal de descriptions très détaillées du personnage. Mais aussi détaillées soient-elles, au bout du compte, ce ne sont que des mots sur une page. C’est à l’acteur qu’il appartient de donner vie à ces personnages. Et Rob a insufflé ses propres idées, ses propres trouvailles, aux deux Mickey pour leur donner plus de relief. J’ai été très impressionné par son apport aux personnages et au film. S’agissant de Mickey 17, il a su interpréter le personnage tel que je l’avais envisagé. Mais c’est surtout avec Mickey 18 que Rob a réussi à lui donner une autre envergure. Il a vraiment dépassé toutes mes attentes, il a nourri le personnage de ses propres idées et il lui a donné une énergie nouvelle – autant d’éléments auxquels je n’avais pas pensé. Sur le plateau, il a improvisé pas mal de dialogues franchement décalés et de scènes insolites. C’était formidable de le voir incarner Mickey 17, mais je tiens surtout à saluer son interprétation de Mickey 18.

Les performances des autres acteurs sont également épatantes. Pouvez-vous nous parler de Mark Ruffalo, Steven Yeun, Toni Collette, et Naomi Ackie ??

Mark joue un personnage très important – celui du dictateur, du méchant, pourrait-on dire. Il n’avait jamais campé ce type d’antagoniste auparavant, si bien qu’il a été assez surpris quand je lui ai envoyé le scénario. Il m’a dit « Pourquoi tu me proposes un rôle pareil ? Je n’en ai pas l’habitude ! » Mais au bout du compte il a trouvé que ça le changeait et il y a pris du plaisir. Il était content de camper un salaud. Son personnage donne au film sa dimension de satire politique et nous fait rire. C’est un aspect de son répertoire qu’on ne lui connaissait pas et c’était donc formidable de découvrir son jeu – et je crois qu’il s’est, lui aussi, bien amusé. Toni Collette campe sa femme, Ylfa, et la relation très particulière de leur couple dégage une énergie qui fait aussi avancer l’intrigue. Steven Yeun joue Timo. Comme je l’ai déjà indiqué, il s’agit d’un film de science-fiction qui ne ressemble pas à un film de science-fiction. Et Steven y a largement contribué. Grâce à lui, le film est très singulier – comme un ingrédient très particulier qui apporte à l’ensemble sa saveur. C’est un personnage très drôle. Naomi insuffle sa part d’émotion. Elle déborde d’énergie. Elle incarne Nasha, personnage sur lequel s’appuie Mickey tout au long du film. Leur relation va à l’encontre des rapports traditionnels entre hommes et femmes qu’on a l’habitude de voir au cinéma. Nasha est le personnage le plus puissant, le plus charismatique, le plus courageux des deux.

Comment avez-vous bâti l’univers du film ? Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec vos chefs de poste pour créer les décors, les personnages, les créatures et la technologie futuriste ?

J’avais déjà l’expérience des créatures VFX avec OKJA. Dans ce nouveau film également, les « rampants » ne sont pas seulement des créatures, mais des personnages majeurs qui sont souvent en contact avec Mickey. Il fallait qu’on invente une créature nouvelle qui donne le sentiment d’être vivante et on a donc constitué une équipe d’experts des effets visuels. J’ai travaillé avec Dan Glass, avec qui j’avais collaboré pour OKJA, et deux formidables studios de VFX, Double Negative et Framestore. Nous avons aussi engagé le grand chef-opérateur Darius Khondji, qui avait éclairé OKJA, et la chef-décoratrice Fiona Crombie qui avait créé des décors magnifiques pour Yorgos Lanthimos. J’étais très heureux de pouvoir m’appuyer sur ces incroyables artistes. Le compositeur, Jung Jaeil, avait signé la partition de PARASITE et OKJA. C’est le troisième film auquel nous collaborons ensemble, et c’était l’occasion d’explorer des pistes nouvelles et familières à la fois. Ma chef-costumière Catherine George est une fidèle collaboratrice avec qui j’ai travaillé sur SNOWPIERCER, LE TRANSPERCENEIGE et OKJA. Elle aborde les personnages avec un regard très personnel, si bien que c’est toujours un grand bonheur de voir les costumes qu’elle imagine.

Dans vos films, vus aimez explorer les inégalités et l’hypocrisie qui règnent dans notre société pour mieux les tourner en dérision. Une manière de montrer que notre société est souvent corrompue ou inégalitaire. Cette dimension a-t-elle nourri le récit ??

Je ne recherche pas uniquement la satire politique à travers mes films. Je ne voudrais pas que le cinéma se réduise à une pure propagande. J’essaie donc de faire des films à la fois stylisés et divertissants. MICKEY 17 s’inscrit dans cette démarche. Mais je crois que tout ce qui arrive à Mickey, sa situation et la manière dont il est traité comportent une dimension politique. Il s’agit de dignité humaine. Non pas qu’il y ait un discours politique que j’ai cherché à plaquer sur l’intrigue. Mais en voyant les combats que mènent Mickey 17 et Mickey 18 tout au long du film, on en perçoit le contexte politique.

S'agissant de votre méthode de tournage et de montage, vous vous appuyez beaucoup sur des story-boards et des graphiques. Puis, vous ne tournez que les plans nécessaires à la scène, sans multiplier les prises. Pouvez-vous nous en parler ??

Oui, j’adore créer mes propres storyboards. Bien évidemment, cela nécessite beaucoup de travail, à la fois intellectuel et physique. Mais je ne peux pas tourner sans ce travail préparatoire. Il faut que j’aie composé tous les plans dans ma tête pour que je me sente détendu et que je puisse tourner le film. Quand j’ai terminé les storyboards, j’ai le sentiment que le film est achevé. Mes storyboards sont assez précis en matière de découpage et de mouvements de caméra. Et, en général, je m’y tiens 99% du temps, si bien que le film finalisé n’est pas si éloigné des storyboards. En revanche, en ce qui concerne le jeu des acteurs, j’essaie de rester aussi ouvert que possible. J’apprécie toujours les impros des comédiens. C’est donc assez contradictoire. Mes storyboards dictent l’emplacement de la caméra et les cadrages, mais j’encourage ensuite les acteurs d’être aussi libres et à l’aise au sein de ce cadre. C’est paradoxal, mais c’est ma méthode de travail.

Pouvez-vous nous parler du style et de l’esthétique du film ? Avez-vous exploré des pistes inédites avec MICKEY 17 ?

On retrouve des éléments de mes films précédents, mais c’est la première fois que je montre à quel point les êtres humains peuvent se révéler stupides, et combien cette bêtise peut aussi les rendre attachants. On m’a souvent rapporté que ce film est plus émouvant que les précédents. En général, on me dit que mes films sont assez durs et cyniques. C’est peut-être parce que je vieillis, mais c’est assez agréable d’entendre ces réactions nouvelles. Il s’agit d’un film de SF où des êtres humains se rendent sur d’autres planètes à bord d’un vaisseau spatial, mais il parle surtout de gens idiots. Et c’est donc très drôle. Il ne s’agit pas d’un space-opéra où les personnages se servent de sabres laser. Il s’agit surtout de losers ridicules ! (rires) Dans le film, on croise beaucoup de gens qui sont stupides, mais qui n’en sont que plus attachants.

De votre point de vue, pourquoi ce film résonne-t-il autant avec l’actualité ?

Parce qu’il parle de jeunes gens, de gens issus de milieu modeste. Il parle d’un personnage impuissant qui devient un héros malgré lui. On pourrait dire que le film parle d’un homme banal qui, sans le vouloir, devient un héros du jour au lendemain. Et la manière dont il devient un héros est très singulière. Je me suis dit que c’était le genre d’histoire que le public d’aujourd’hui avait envie qu’on lui raconte.

Le film se déroule dans un futur très peu engageant. Pouvez-vous nous parler de sa dimension de conte moral ? ?

La Terre n’est pas détruite, mais il est de plus en plus difficile d’y vivre et les habitants finissent donc par s’en aller. C’est un enjeu quotidien. Ils embarquent à bord d’un vaisseau spatial comme s’il s’agissait d’un vol de nuit Los Angeles-New York. Ce n’est pas un mouvement migratoire majeur ou un exode. Grâce à la tonalité du film, on comprend que c’est tout à fait habituel. Il est devenu assez banal de quitter la Terre et de s’installer sur une autre planète. Les personnages n’ont pas vraiment de but dans la vie et sont très seuls. Ils n’ont pas de famille, mais ils trouvent quand même l’amour. Car le film raconte aussi l’histoire d’amour que vivent Mickey et Nasha. Le fait que des êtres qui ne se sont fixés nulle part puissent s’engager dans une relation stable est un aspect important de cette histoire.

Le film a suscité beaucoup d’enthousiasme et de réactions positives des fans. Pourquoi, à votre avis, touche-t-il autant les gens ? Qu’aimeriez-vous qu’ils en retiennent ??

Tout d’abord, Robert Pattinson est un acteur extrêmement charmant et c’est donc pour cela qu’ils aiment le film ! (rires) Je ne plaisante pas tant que ça. On découvre vraiment un nouvel aspect de son talent dans le film. Et c’est ce qui imprègne naturellement la tonalité et les thématiques du film. C’est l’un de ses aspects les plus réussis. Il s’agit d’un film de SF, mais c’est aussi une comédie et un récit très émouvant, et j’espère donc que le public appréciera le film pour cela aussi. Après la projection, j’espère qu’ils repenseront à ce qui fait de nous des êtres humains et à ce qu’on doit mettre en place pour rester humains – ne serait-ce qu’en prenant trois minutes pour le faire ! (rires)

Pourquoi faut-il que les spectateurs voient le film sur un grand écran avec un son optimal ?

Nous vivons à l’époque du streaming, mais il y a encore des émotions qu’on ne peut ressentir qu’en voyant un film sur un grand écran, dans une salle de cinéma. Bien entendu, le grand écran se prête très bien aux espaces intergalactiques et aux créatures extraterrestres, mais je crois aussi que c’est très fort d’observer les expressions subtiles des comédiens en gros plan sur un grand écran. Le visage humain décrit un paysage à part entière. Comme je l’ai déjà dit, nous avons réuni une formidable équipe d’acteurs. Rob, Mark Ruffalo, Toni Collette, Steven Yeun, Naomi Ackie et tous les autres ont fait preuve d’un jeu tout en nuance et d’expressions de visage d’une grande richesse qu’on aura plaisir à découvrir sur grand écran. Rob Pattinson en IMAX, c’est vraiment une expérience à vivre ! (rires)

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