Donjons et Dragons : Entretien avec Shane Mahan - Créer l’illusion de la vie
Article Cinéma du Lundi 31 Juillet 2023

En attendant la sortie DVD & BR du film le 16 août, retour sur ses trucages…

Shane Mahan a découvert les classiques de l’épouvante à la télévision pendant son enfance et réalisé alors des courts-métrages en Super-8 dont les héros étaient Dracula et le monstre de Frankenstein. Après ses études, Il s’est installé à Hollywood, a montré son portfolio à Stan Winston en 1983 et a été aussitôt engagé dans son studio pour rejoindre l’équipe déjà à l’œuvre sur Terminator. C’est là que Mahan a travaillé sur les grands jalons du Fantastique et de la SF que sont Aliens, Predator, Terminator 2 , Jurassic Park, Entretien avec Un Vampire, Le Monde Perdu: Jurassic Park, Galaxy Quest, A.I: Intelligence Artificielle, Big Fish, La Guerre Des Mondes, Iron Man et Avatar. Après la disparition de Stan Winston en 2008, Mahan s’est associé avec ses amis et collègues John Rosengrant, Lindsay MacGowan et Alan Scott pour fonder le studio Legacy Effects, ainsi nommé pour honorer leur regretté mentor et prolonger son oeuvre avec la même volonté d’innovation et de haute qualité de rendu artistique. Leur collaboration avec les Studios Marvel s’est poursuivie sur les sagas Iron Man, Thor, Captain America, Avengers et Gardiens de la Galaxie. Shane Mahan a également travaillé avec Guillermo Del Toro sur les combinaisons des pilotes des robots géants de Pacific Rim (2013) et sur le costume de la créature amphibie de La Forme de l’Eau. Dans le domaine de la télévision, il a participé aux séries Star Wars de Disney + Le Mandalorien, Obi-Wan Kenobi, Ahsoka et Skeleton Crew, ainsi qu’à Star Trek : Strange New Worlds.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Remerciements à Shane Mahan et à Alexis Rubinowicz


Retour aux sources du jeu

Pouvez-vous donner d’abord à nos lecteurs un aperçu de l’implication de Legacy Effects dans la conception et la fabrication des créatures de Donjons et Dragons ? Nous reviendrons ensuite plus en détail sur chacun des personnages principaux que vous avez créés…


Avec plaisir ! Ce sont les producteurs Denis L. Stewart, Jeremy Latcham et le directeur de production John Naclerio qui nous ont contacté pour nous proposer de nous occuper des maquillages spéciaux et des créatures du film. J’ai lu le script et l’ai trouvé charmant, extrêmement amusant. Il m’a rappelé à bien des égards le ton de Galaxy Quest, sur lequel nous avions travaillé il y a presque 25 ans ! J’y ai retrouvé la même manière de revisiter un genre cinématographique en l’observant avec une sorte d’ironie bienveillante, mais sans jamais tomber dans la parodie…Je dois avouer que je ne me souvenais plus très bien des caractéristiques du jeu de rôle original, même si j’avais participé à quelques parties avec des amis pendant mon enfance…Je ne me rendais absolument pas compte de l’immense popularité dont jouit encore Donjons et Dragons. Il remporte toujours un succès phénoménal dans le monde entier, et on continue à éditer de nouvelles quêtes pour satisfaire la demande des joueurs. J’ai donc pris le temps de me replonger sérieusement dans cet univers et de lire les descriptions de ses personnages, ses mondes, ses magiciens, sorts et nombreux monstres. Une fois que nous avons été officiellement engagés, la production nous a indiqué de quels personnages elle souhaitait que nous nous occupions. Tout cela reposait sur la demande des réalisateurs John Francis Daley et Jonathan Goldstein, qui voulaient que l’on crée concrètement autant de créatures que possible, afin que les acteurs puissent réagir en les voyant bouger à leurs côtés, dans les décors. C’était effectivement très important, car de nombreuses interactions entre les héros et ces personnages fantastiques devaient avoir lieu au cours de plusieurs séquences d’action importantes. Cette philosophie était de bonne augure pour le reste du projet, car cela a toujours été notre manière d’aborder les choses, y compris à l’époque où nous travaillions avec Stan Winston. Stan a ardemment défendu cette approche en dialoguant avec les réalisateurs et les producteurs, et insisté sur le fait que nos personnages - qu’ils soient créés par le biais de maquillages ou qu’il s’agisse d’animatroniques complets - allaient être de véritables acteurs du film, capables de livrer des performances crédibles et d’exprimer des émotions. C’est d’ailleurs pour avancer en ce sens que nous avons été impliqués dans le casting des acteurs sur lesquels nous allions poser des prothèses, ainsi que dans celui des comédiens qui allaient porter les grands costumes des créatures, dotés d’éléments animatroniques. Nous avons passé beaucoup de temps à dialoguer avec les réalisateurs pour mettre au point tous ces designs. Ensuite, mon travail a consisté à établir comment nous allions pouvoir donner vie à ces êtres imaginaires, en concertation avec les équipes de tous les départements de Legacy. Certaines de ces questions étaient de véritables énigmes à résoudre. Comment construire une sorte d’homme-faucon de près de trois mètres de haut, avec des ailes de quatre mètres d’envergure, capables de se déployer ? De plus, il fallait que tout fonctionne en continu devant les caméras, et que l’acteur puisse jouer en marchant sur des petites échasses dissimulées dans les pattes de cette créature ! Comment créer un dragon humanoïde ? Ou un poisson géant, dont la gueule s’ouvre pour révéler un bébé aux traits félins qu’il a réussi à gober, et que les héros sauvent alors pour le rendre à sa mère ? Autant de défis qui ont été extrêmement difficiles à relever mais passionnants à surmonter. Et nous nous sommes beaucoup amusés à créer les maquillages et les costumes des guerriers ressuscités, en combinant plusieurs techniques différentes.

Le choix des techniques

Comment avez-vous collaboré avec les réalisateurs et avec Ben Snow pour décider quelle technique devrait être utilisée pour donner vie à chaque personnage ou créature ? Avez-vous eu des hésitations dans certains cas ? Avez-vous réalisé des tests ?


Non, pas vraiment. Nous avons du foncer parce que le temps dont nous disposions pour tout faire était très limité. L’épouvantable période de la pandémie que nous avons traversée nous a contraints à fermer nos ateliers pendant longtemps. Nous n’avons pas pu avancer sur le travail préliminaire pendant des mois, parce que tous les membres de nos équipes sont restés confinés chez eux, et que la production de Donjons et Dragons a été mise en hiatus…Quand tout a enfin redémarré, il ne restait quasiment plus de temps pour développer de nouveaux concepts ou envisager différentes manières de faire les choses : il a fallu choisir parmi les designs déjà créés et lancer immédiatement la fabrication des prothèses et des personnages animatroniques, sans avoir l’option de tester d’autres approches, ni de faire des expériences. Nous avons employé des techniques fiables et qui ont fait leurs preuves.

Legacy a également produit des designs pour les créatures qui ont été réalisées en 3D, n’est-ce pas ?

Oui. On nous avait sollicité aussi d’emblée pour créer des designs destinés aux monstres qui allaient être animés en images de synthèse, comme le dragon obèse, la bête éclipsante qui ressemble à une panthère noire avec de fins tentacules, ou le coffre mimique qui s’ouvre pour révéler une langue préhensible et une gueule hérissée de dents. Ces designs et ceux d’autres personnages ont été réalisés en 3D chez nous par Scott Patton et par plusieurs artistes. Glenn Hanz est beaucoup intervenu sur le dragon, et Simon Webber a conçu aussi plusieurs modélisations 3D de personnages. Cela nous a permis d’intervenir aussi sur les créatures que Ben Snow et ses équipes chargées des effets visuels allaient animer plus tard et intégrer aux prises de vues réelles. Et ces designs ont été également très amusants à développer.

La performance d’un Drakeïde

Les réalisateurs et le producteur du film nous ont parlé avec enthousiasme du nouveau système de capture de performance que vous avez utilisé pour animer le personnage du Drakeïde. Pouvez-vous nous raconter comment ce système a été élaboré et comment il fonctionne ?


De nombreuses technologies ont été développées pendant les quinze dernières années dans le domaine de l’asservissement de personnages animatroniques par ordinateur et de la détection de mouvements. Jusqu’à présent, la capture de mouvements et d’expressions faciales a été principalement employée pour transférer le jeu des comédiens sur des personnages 3D, mais la même idée peut être appliquée pour contrôler l’animation d’une créature animatronique. Les déplacements des points de repères posés sur le visage d’un acteur sont détectés et pilotent alors les actionneurs de la tête de la créature. David Covarubias portait un casque équipé d’une caméra braquée sur son visage, et ses mains étaient posées sur des sortes de gants articulés pour capter les mouvements de ses doigts. Les images de la caméra étaient analysées en temps réel, répercutées sur l’avatar d’une tête 3D dans le système informatique, et dès qu’il parlait ou changeait d’expression, cela actionnait les systèmes mécaniques à l’intérieur de la tête du Drakeïde, dont le costume était porté par un autre acteur, Brian Larkin, qui s’occupait des mouvements corporels, et prêtait aussi sa voix au personnage. David prononçait en même temps ces répliques afin que les mouvements de bouche du personnage animatronique correspondent. Le résultat obtenu est immédiat, spontané, et très amusant à utiliser sur le plateau de tournage, car les interactions avec les autres comédiens sont parfaitement fluides. Techniquement, cela a été assez complexe à mettre au point, mais cette innovation présente de nombreux avantages. C’est le département des costumes d’ILM qui a fabriqué la tenue du Drakeïde. Elle était superbe et lui allait très bien, sans entraver ses mouvements. Tout s’est parfaitement combiné. Nous contrôlions les animations de la mâchoire, des lèvres, des nasaux, des yeux, des paupières et des arcades sourcilières, et Brian animait tout le reste du costume et était la voix du Drakeïde.

L’Aarakocra est une autre créature animatronique importante du film : elle joue un grand rôle dans la scène d’évasion…

L’Aarakocra a été l’un des personnages les plus compliqués et les plus intéressants à créer parce que voulions vraiment que ses ailes ne soient pas animées en 3D. Mais pour parvenir à un tel résultat, il fallait qu’elles puissent se déployer rapidement, bouger d’avant en arrière, et aussi se replier parfaitement en reprenant leur place derrière la cape de son manteau. Ces mouvements devaient être animés par radiocommande, sans avoir recours à des fils, ce qui signifie qu’il a fallu concevoir des mécanismes très complexes en termes d’ingénierie. D’autant plus qu’il fallait aussi que tout fonctionne en s’adaptant à sa tenue assez ample. La tête était animée par radiocommande elle aussi. Le comédien anglais Clayton Grover portait des extensions de doigts articulées, et il y avait des mini-échasses de 45cm dissimulées dans les pattes de la créature, pour donner une stature de 2m75 au personnage. Clayton a été formidable en jouant dans le costume. Il faut être extrêmement athlétique, patient et endurant pour supporter un tel dispositif, et réussir à bien jouer en marchant sur ces mini-échasses, malgré la vision très limitée que l’on a l’intérieur de la structure de la tête du personnage. Clayton parvenait aussi à garder son équilibre quand les ailes se déployaient, alors que ces mouvements rapides auraient pu le faire vaciller. Comme il est également cascadeur, il a réalisé les actions de l’Aarakocra que l’on voit lorsque les héros le font passer au travers d’une fenêtre pour s’évader en s’accrochant à lui. Il était suspendu à des câbles tout en portant le costume, et a vraiment accompli un exploit.

Comment les mécanismes des ailes fonctionnaient-ils ?

Ils étaient contenus dans un sorte de sac à dos très compact intégré dans le costume. Il s’agissait de grands servomoteurs très puissants, reliés par des engrenages à des chaînes et aux articulations internes des ailes. Dès que l’on manipulait la radiocommande, les ailes se déployaient en deux secondes, et c’était très impressionnant à voir. Je pense que les spectateurs se rendront compte en voyant le film qu’il s’agit de vraies ailes. Bookmark and Share


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