LE MANOIR HANTÉ, De Disneyland au grand écran – 2ème partie – Entretien avec le réalisateur Justin Simien
Article Cinéma du Lundi 17 Juillet 2023

Par le regretté Pascal Pinteau

Votre enfance a été marquée par l’attraction du MANOIR HANTÉ, mais d’abord par le biais d’un jouet…

Effectivement. Quand j’étais petit garçon, mon jouet préféré était le Movie-Viewer commercialisé par Fisher-Price. Il s'agissait d'une sorte de caméra de fantaisie doté de cartouches-cassettes qui diffusaient des images de dessins animés que l’on voyait en regardant dans le viseur. Par un heureux hasard, toutes les cassettes que je possédais provenaient de la bibliothèque Disney. Ce jouet a non seulement nourri mon sens de l’émerveillement et ma fascination pour les images animées mais m'a peut-être aussi aidé à me protéger de l'environnement social de l'école primaire où mes centres d'intérêt me définissaient comme un geek, ce qui me valait d’être marginalisé... Bien des années plus tard, mon Movie Viewer s’est transformé en une véritable caméra mais en me procurant un sentiment permanent de nostalgie de mon enfance.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce projet, en tant que réalisateur ?

Dès mes débuts, mon modus operandi a été de créer des divertissements sarcastiques basés sur des thèmes et des genres humanistes. Dès que j'ai pris connaissance du scénario du MANOIR HANTÉ, j'y ai vu l'opportunité d'utiliser mes compétences et mon point de vue pour créer une version drôle et rafraîchissante de cet héritage Disney, tout en touchant une corde sensible inattendue. Car au gré de cette aventure pleine d’humour et de fantaisie horrifique se pose la question de savoir si un blasé introverti peut oui ou non encore ressentir des émotions et révéler sa vulnérabilité aux autres. Cette histoire divertissante nous montre comment affronter ce qui nous effraie le plus dans la vie. C'est un scénario au potentiel cinématographique immense mais aussi un récit plus intime sur le deuil et la manière de le surmonter. En d'autres termes, c’est l’histoire de ma vie : quelqu'un qui a érigé des barrières sociales pour se protéger, se retrouve entraîné dans les mystères du manoir hanté de Disney et doit apprendre à s'entendre avec d'autres gens afin de se découvrir un nouveau but et un sens à sa vie !

Comment avez-vous réussi à préserver une certaine véracité émotionnelle dans cette comédie fantastique ?

L'interaction entre les grandes aventures et les émotions humaines essentielles est au cœur de mes films Disney préférés. Ils m’ont fortement influencé en tant que narrateur. Quand j’avais l’âge d’aller à l'école, je trouvais que l'éducation prenait un tour nettement plus intéressant dès qu'un professeur piochait dans une pile de cassettes videos Disney pour une "journée cinéma" ! À l'école primaire, j'ai rejoint la chorale - ce qui a continué à renforcer mon image de ringard ! - et j'ai aussi régulièrement participé à des sorties scolaires pour voir les films d'animation Disney. Je revenais tout émoustillé de LA PETITE SIRÈNE, LA BELLE ET LA BÊTE, ALADDIN et LE ROI LION. C’était pour moi de véritables expériences spirituelles. Je me demandais non seulement comment ces films pouvaient me transporter à ce point dans l’imaginaire, mais aussi comment je pourrais un jour faire ressentir les mêmes impressions à des spectateurs…Lors d'un séjour familial à Walt Disney World, en Floride, j'ai été marqué à vie par deux événements : d'une part dans l’attraction SPACE MOUNTAIN où je revois encore les mains de ma mère sur ses yeux qui criait et implorait littéralement Dieu de nous sauver ; d'autre part, lorsqu’à la fin de la visite du MANOIR HANTÉ, un fantôme auto-stoppeur est apparu dans un miroir, assis à mes côtés dans le wagonnet, pour m’accompagner jusqu'à la sortie de l’attraction ! À huit ans, je comprenais bien qu’il y avait un truc, mais je n'arrivais pas à comprendre lequel. Pendant des années, je me suis plu à imaginer que ce fantôme faisait encore de l'auto-stop avec moi dans le monde réel ! Plus tard, à l'université Chapman, je suis tombé intimement amoureux de Disneyland, ce qui m’a conduit à chercher un job d'été en tant que chargé de manèges dans le parc. A ce moment-là, la magie de Disney me semblait inextricablement liée à mes ambitions de cinéaste. Tout en accueillant les visiteurs dans les attractions du MANOIR HANTÉ et des PIRATES DES CARAÏBES, je m'émerveillais à chaque fois du sens du détail de la mise en scène et de l’incroyable qualité d’immersion dans l'histoire qui était racontée. C’était tellement fort que cela ne donnait la chair de poule. Je me demandais alors : « Comment pourrais-je parvenir à produire ces mêmes sentiments d'émerveillement ou d'effroi plus tard dans mes films ?

Ce qui est incroyable, compte tenu de vos connections avec l’attraction que vous venez de décrire, ce sont vos liens familiaux avec son contexte, puisque le manoir original est présenté dans l’aire de la Nouvelle-Orléans de Disneyland, avec une architecture typique du Sud des USA…

Oui, le destin ne s’arrête pas là ! Je ne me suis pas seulement senti connecté avec le type d'histoire que raconte le MANOIR HANTÉ, mais aussi avec le lieu où elle se déroule. La famille de ma mère est originaire de Louisiane et j'ai grandi dans la culture créole noire. J’ai compris intrinsèquement les fondements culturels d'un endroit comme la Nouvelle-Orléans. Je sais ce qui fait un bon Gumbo (plat traditionnel épicé, NDLR) et ce que la musique zydeco peut avoir comme effet sur le corps des gens ! Je sais comment les histoires de fantômes et de phénomènes paranormaux que l’on se raconte là-bas servent à se divertir en créant des ambiances dramatiques très divertissantes. Il y a une acceptation du paradoxe inhérent à cette culture que je porte dans mon ADN.

Quels ont été vos premiers objectifs après avoir été choisi par Disney pour réaliser le film ?

J'avais en tête un certain nombre d'impératifs créatifs, dont un personnage principal noir. Ça me semblait être une évidence puisque le film se déroule à la Nouvelle-Orléans, ville dont 80 % des habitants sont noirs. Pour moi, il s'agit d'une histoire sur l'ouverture aux autres, même si on a encore de très bonnes raisons de rester sur ses gardes. Le fait que Ben soit un scientifique noir m’a permis de mieux comprendre sa misanthropie et son ironie. Ce ne sont pas seulement des traits de caractère amusants, ce sont aussi des armes nécessaires pour vivre. Au-delà du choix du protagoniste principal, la représentation de la culture de la Nouvelle-Orléans devait également être authentique. Historiquement, cette ville a été l'un des premiers endroits des Etats-Unis où Noirs et indigènes ont pu vivre librement et s'enrichir. Bien que cette situation ait été de courte durée au XIXe siècle, elle a créé un environnement propice aux échanges culturels ce qui a abouti à la naissance au jazz et à bien d'autres phénomènes des débuts de l'Amérique. En explorant la conception de l'attraction originale, j’ai été frappé par l'absence d’artefacts issus de la communauté noire, suggérant sans détour une origine du manoir qui n'était probablement pas voulue par Walt Disney. Cela ne me semblait ni exact, ni moderne. Des monarques britanniques, des dirigeants romains et même des momies se promenaient dans le manoir. (Rappelons ici que de nombreux concepts issus du projet intial THE MUSEUM OF THE WEIRD ont été inclus dans l’attraction, et que ce n’est que bien plus tard qu’elle a trouvé sa place dans la nouvelle aire de la Nouvelle-Orléans de Disneyland, érigée autour des PIRATES DES CARAÏBES. L’absence de thèmes issus de la culture afro-américaine dans le MANOIR HANTÉ n’est donc pas imputable à une quelconque censure voulue par Walt Disney, NDLR.) Pous aborder cette transposition, j’ai considéré que parmi eux, il y avait sûrement des personnes de couleur. Dans cette version, William Gracey, le propriétaire initial du manoir, s’inspire des nombreux créoles libres et riches qui vivaient à la Nouvelle-Orléans au XIXe siècle. Victor Geist, l'organiste, est un clin d'œil à Fats Waller. Les belles qui dansent la valse ont été rejointes par des danseuses de lindy hop, de French Cancan et d'autres habituées des parades de Mardi Gras depuis des siècles.

Quelles étaient les scènes iconiques de l’attraction que vous vouliez transposer dans le film ?

Au-delà de l'amélioration de la description du cadre culturel de la Nouvelle-Orléans, il m'a semblé essentiel de préserver la nature et le charme de l'attraction originale. Une grande partie provient d’effets à l'ancienne, tels celui baptisé « Pepper's Ghost », qui utilise littéralement de la fumée et des miroirs (les explications techniques détaillées de ce trucage live, qui n’est pas un hologramme comme on le dit souvent, figurent dans EFFETS SPÉCIAUX, 2 SIÈCLES D’HISTOIRES, éditions Bragelonne, NDLR). Ayant grandi en regardant des comédies d'horreur comme BEETLEJUICE, LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS et S.O.S. FANTÔMES, je savais que nous pouvions emmener le public de manière crédible dans ces espaces fantastiques, en cherchant à reproduire la physicalité et la sensation propres aux effets visuels de l'attraction. Il était évident que nous avions besoin de recourir à des effets numériques de pointe mais il était important pour moi que le film ne donne jamais l'impression de se dérouler dans un néant numérique. Il fallait préserver le sentiment d'émerveillement issu de la manière dont l'effet original avait été créé.

Vous avez donc eu recours aux effets 3D, mais aussi à beaucoup d’éléments concrets ?

Nous avons construit des décors en dur, ce qui nous a permis de travailler dans des environnements concrets avec les acteurs plutôt que de nous appuyer sur des effets visuels. Il y avait des rails sous le décor ainsi que des marionnettistes tirant les fils et animant les nombreux objets flottant mystérieusement autour de la maison. De nombreux fantômes ont été filmés en prises de vues réelles, avec des personnes costumées et maquillées avec des prothèses. Elles étaient souvent suspendues à des filins, avant d'être « améliorées » numériquement pour s'assurer que les acteurs puissent interagir de manière crédible les uns avec les autres, qu'ils interprètent des être vivants ou des fantômes.

Comment avez-vous choisi les comédiens du film ?

L'effet spécial le plus puissant de n’importe quel film repose sur le charisme des acteurs et l'alchimie qui se crée entre eux. Pour nous assurer que les spectateurs se passionneraient pour les aventures des mortels confrontés aux esprits du MANOIR HANTÉ, il était essentiel de réunir un casting de stars comiques, mais aussi des personnalités capables de se compléter ou de s’opposer à des moments bien précis de l’histoire. À l'instar d'un groupe de jazz qui joue en parfait harmonie, chacun produit un son individuel différent qui s'associe aux autres pour créer quelque chose d'unique. Le résultat, je l'espère, est un divertissement familial qui, à l’image de l‘attraction elle-même, présente un petit tour de magie au public. Si l'histoire est conçue pour nous amuser et nous permettre de nous évader dans l’imaginaire, elle peut aussi, si nous avons bien travaillé lors de sa préparation, nous aider à affronter nos propres peurs de la mort et du deuil par le biais de l’humour et de la compassion.

La suite de notre dossier dédié au MANOIR HANTÉ se matérialisera bientôt sur ESI ! Bookmark and Share


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