Donjons et Dragons, l’Honneur des Voleurs : Entretien avec Jeremy Latcham, producteur
Article Cinéma du Jeudi 18 Mai 2023

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

De Marvel à l’Heroic Fantasy, une carrière dédiée au fantastique

Jeremy Latcham a entamé sa carrière en tant que collaborateur dans la célèbre agence artistique hollywoodienne Endeavor. Il a rejoint les studios Marvel en 2006 pour exercer la fonction d’assistant de production sur le film d’animation Ultimate Avengers, et a été promu producteur associé sur Iron Man en 2008, puis co-producteur sur Iron Man 2. Devenu l’un des piliers des studios Marvel, il a été nommé Vice-Président principal de la production et du développement en 2010, et a occupé aussi les fonctions de producteur exécutif sur Avengers, Les Gardiens de la Galaxie, Avengers : l’ère d’Ultron, et Spider-Man : Homecoming. Il a choisi de quitter Marvel en 2017 pour fonder sa société de production Latcham Pictures, et après avoir produit le thriller teinté de fantastique Sale Temps à l’Hôtel El Royale pour la Fox, il a signé un accord exclusif de développement avec la société E One, pour transposer au cinéma les gammes de jeux et de jouets appartenant à Hasbro, en partenariat avec la Paramount. Le premier projet issu de cet accord est Donjons et Dragons, l’Honneur des Voleurs.

Une perpétuelle quête d’originalité

Vous avez été l’un des premiers créateurs du MCU depuis Iron Man, dont l’immense succès a permis d’entreprendre tous les autres films des Studios Marvel. Puis-je vous demander pourquoi vous avez décidé de quitter Marvel en 2017 pour lancer Latcham Pictures ? Et nous expliquer quelles sont les opportunités créatives qui vous ont poussé à développer des films à partir des jeux et jouets Hasbro ?


En fin de compte, plusieurs choses m’ont incité à quitter Marvel même si j’adorais ce que j’y faisais. Quand j’avais une vingtaine d’années, c’est ma passion du cinéma et les encouragements de mon grand-père John – il me disait toujours qu’aucun rêve n’était hors de portée - qui m’ont incité à quitter l’Oklahoma pour venir m’installer à Hollywood. J’avais l’espoir de pouvoir travailler sur toutes sortes de films, dans des registres très différents les uns des autres. Quand j’ai été engagé par Marvel, j’ai vécu dans ce studio les plus belles années de mes débuts professionnels, et j’ai pu collaborer avec des personnes que j’adore à titre amical, et dont j’admire énormément le talent. Kevin Feige, le PDG des Studios Marvel, est vraiment un génie, et certainement l’un des meilleurs producteurs qui ait jamais vécu. J’ai donc été « élevé » de la meilleure manière que l’on puisse espérer, sous la tutelle de Kevin, et c’est ainsi que j’ai appris comment produire un film à gros budget, en gérant de nombreuses difficultés logistiques, artistiques et techniques. En 2017, j’ai senti que j’étais prêt à relever un nouveau défi, et j’avais envie de travailler sur d’autres sortes de divertissements populaires. Après avoir produit beaucoup de films du MCU, j’ai eu le sentiment que même si j’avais énormément apprécié cette expérience et tout ce que j’avais appris, il était temps pour moi de tenter d’aborder d’autres types de films. Et d’essayer de créer quelque chose de totalement nouveau, de A à Z, pour le grand écran. J’ai pris la décision de partir après avoir participé à la préparation de Avengers : Infinity War et Avengers : Endgame. Je savais que ces projets avaient été soigneusement conçus et planifiés, et qu’ils étaient entre de très bonnes mains, c’était donc le bon moment de me lancer dans d’autres activités, sans que cela pose de problème à mes amis de Marvel. Mon épouse et moi venions tout juste d’avoir un enfant, et cela a énormément compté dans ma décision, car je savais que si m’occupais de ces deux énormes volets de la saga Avengers cela me laisserait très peu de temps pour mener ma vie personnelle, alors que je voulais être présent pour profiter de notre nouveau-né. C’était une décision difficile à prendre, car pour moi, cela signifiait quitter le meilleur job que l’on puisse imaginer à Hollywood ! Mais je savais que c’était la bonne à titre privé, et que cela allait aussi me permettre de travailler sur de nouvelles idées et sur la construction de nouveaux univers cinématographiques. C’était l’occasion d’appliquer à d’autres types de films tout ce que j’avais appris jusque là. Quand l’opportunité de produire Donjons et Dragons s’est présentée, je venais de collaborer avec John et Jonathan sur Spider-Man : Homecoming, et en fait, c’est moi qui les avais contactés en 2015 pour leur proposer d’écrire ce film coproduit par Sony et Marvel. Nous savions déjà que nous nous entendions très bien et que nous aimions travailler ensemble. Bref, quand nous avons parlé de Donjons et Dragons, je leur ai dit qu’à mon avis, il n’y avait aucune autre licence qui ait le potentiel de rivaliser avec le MCU à l’heure actuelle, à l’exception de celle-ci. Elle est tellement riche et a été développée avec tant de soin, de profondeur narrative et d’originalité depuis 1974, tout en s’inscrivant dans la culture populaire, qu’elle m’a semblé être le prochain univers imaginaire majeur qui ne demandait qu’à être exploré et concrétisé visuellement sur le grand écran. Je pense qu’il est vital que Hollywood se renouvelle et puise régulièrement dans d’autres domaine de la culture populaire. Nous devons proposer des expériences inédites aux spectateurs, alors que des franchises comme celles de Marvel, et des sagas Harry Potter et Fast and Furious ont atteint une certaine maturité dans leurs développements. J’ai considéré que cette recherche d’originalité passait par la transposition cinématographique de Donjons et Dragons, et la création narrative et visuelle d’un nouvel univers destiné à divertir toutes les générations. Nous verrons bien si le public adhère à notre vision. J’espère que les spectateurs vont aimer les mondes que nos héros traversent, et qu’ils se diront même parfois « Oh, ces endroits sont si beaux que j’aimerais bien y vivre ! », car on chemine aussi dans des lieux enchanteurs en menant ces quêtes magiques ! J’adore les environnements que nous avons créés pour ce film. Ils font rêver…

Des jouets aux films

Quels autres projets de films basés sur les marques appartenant à Hasbro développez-vous actuellement ?


Le seul dont je puisse parler à ce jour concerne les camions et véhicules de chantier miniatures fabriqués par Tonka. Les enfants et les adultes sont fascinés par ces engins depuis toujours, et toute une culture s’est développée autour d’eux. Je crois que ce serait amusant d’en faire la nouvelle grande franchise cinématographique consacrée à des véhicules, et nous en sommes aux toutes premières étapes de développement de ce projet. Je suis un grand fan de ce type de films. Fast and Furious 3 : Tokyo Drift et Fast and Furious 5 font même partie de mes divertissements favoris de ces dernières années dans ce registre très particulier des blockbusters vrombissants !

Donjons et Dragons est un projet atypique, et juste avant, en 2018, vous avez produit pour la Fox un autre film très différent des productions actuelles : Sale Temps à l’Hôtel El Royale. Pourrait-on dire que développer des divertissements surprenants est devenu l’un de vos principaux objectifs ?

Oui. L’idée même de chercher et de créer de nouveaux univers cinématographiques m’a toujours attiré. Tout comme le thème commun à pratiquement tous les films que j’ai produits : celui de la famille. Y compris dans Sale Temps à l’Hôtel El Royale, où l’on voit un groupe de personnages désespérés vivre une étrange expérience pendant toute une nuit, et devenir une sorte de famille après avoir surmonté bien des épreuves. On le sent pendant la scène finale où ils se retrouvent autour la table et comprennent qu’ils ont tous appris quelque chose sur eux-mêmes. Et si l’on remonte au premier Iron Man, on voit que Tony Stark vit seul dans le sous-sol de sa luxueuse villa, en étant désœuvré et en ne sachant que faire de son temps et de son immense fortune. Les choses changent quand Tony s’appuie sur son ami Rhodey et sur son assistante Pepper, et qu’ils deviennent sa vraie famille. Ils le soutiennent, l’accompagnent, le conseillent, et lui permettent de devenir une meilleure personne. Les Gardiens de la Galaxie sont aussi des individus très différents les uns des autres qui finissent par former une famille, et c’est vrai également pour les héros de Donjons et Dragons, qui aborde le thème des parents et des enfants qui doivent surmonter une épreuve et se reconstruire. Il me semble que c’est un thème que le public apprécie particulièrement à notre époque. Préserver nos liens amicaux et familiaux devient de plus en plus compliqué car nous passons beaucoup trop de temps à échanger via nos smartphones, à nous parler par écrans interposés, en étant physiquement éloignés les uns des autres. Nous éprouvons tous ce besoin de nous retrouver réellement en face des gens que nous aimons. Voilà pourquoi ce thème chaleureux et réconfortant de la famille me tient tellement à cœur et guide mes choix professionnels. C’est parce que nous aimons vivre ensemble que nous sommes des êtres humains.

La plume et la caméra

Pour un producteur, quels sont les plus grands avantages artistiques et pratiques lorsque l’on collabore avec un duo d’auteurs et de réalisateurs comme John Francis Daley et Jonathan Goldstein ?


J’aime travailler avec des auteurs-réalisateurs. C’est un vrai plaisir, dont j’ai eu la chance de bénéficier tout au long de ma carrière de producteur, et ce, dès le début. Vous savez, même si Jon Favreau n’a pas été crédité officiellement en tant que scénariste sur Iron Man, en réalité, il a écrit une grande partie du film. Jon est un auteur extrêmement expérimenté et de grand talent, tout comme James Gunn, Drew Goddard, Joss Whedon, et que John et Jonathan. Quand vous avez la chance de travailler avec un réalisateur qui est également un auteur, sa compréhension du script est si complète et si subtile que chacune des décisions qu’il va prendre pour diriger le film va contribuer à narrer les multiples facettes de cette histoire., Quand on travaille avec un réalisateur qui n’est pas scénariste, il se concentre souvent sur la composition des plans, le dynamisme de la scénographie, l’esthétique du film et l’efficacité du montage. Tout cela est très bien, mais à mon avis, ce qui fait toute la différence dans ces grands divertissements, c’est le traitement des sentiments des personnages, et l’émotion qui doit impérativement se trouver au cœur du film. Je crois que les scénaristes passés à la réalisation sont particulièrement bons dans ce domaine : ils pensent d’abord aux personnages, et tout le reste en découle. J’ai eu l’occasion de produire des films spectaculaires avec beaucoup de scènes d’action, mais même si le public aime ces moments-là, ce qu’il retient d’abord, ce sont les passages les plus émouvants. Quand je travaillais pour Marvel, j’avais coutume de dire qu’on nous félicitait souvent pour nos scènes de combats, alors que nous avions surtout réussi à intéresser les spectateurs grâce aux situations dramatiques développées autour de nos protagonistes. C’est cela qui les a rendus attachants et populaires. Un auteur-réalisateur se concentre sur les enjeux dramatiques de chaque scène, qu’il s’agisse d’une séquence d’action ou d’une discussion intime entre deux héros. Et quand on a deux auteurs-réalisateurs, c’est encore mieux ! John, Jonathan et moi nous formions une petite famille qui partageait la même vision du projet, et dont chaque membre se soutenait tout au long du périple que la préparation, le tournage et la postproduction du film a été. Je les aime beaucoup, et nous nous sommes énormément amusés à travailler sur ce film. Je les apprécie depuis le jour où j’ai lu l’un de leurs scripts, et que j’ai su qu’il fallait leur proposer d’écrire Spider-Man : Homecoming. Ce qui est amusant, c’est qu’ils sont très différents l’un de l’autre ! Ils n’ont ni le même type de caractère, ni la même manière d’aborder les choses, mais quand ils écrivent une histoire ensemble et qu’ils réalisent, ils partagent la même vision, les mêmes goûts artistiques. Si vous parvenez à leur proposer une idée et qu’ils la développent, vous pouvez être certain que le résultat sera excellent. Ils sont très sympathiques, très intelligents, et quand ils ont un problème à résoudre, leurs capacités de discernement des solutions et de choix de décisions sont remarquables. Je me souviens avoir vu leur comédie Game Night à la fin d’une journée de travail, pendant le tournage de Sale Temps à l’Hôtel El Royale à Vancouver, et j’ai tellement ri que je les ai appelés pour les féliciter en sortant de la salle, au milieu de la nuit. John et Jonathan savent vraiment transformer un script en une excellente narration visuelle.

Remerciements à Alexis Rubinovicz et Jeremy Latcham

La suite de cet entretien sera publiée dès que nous aurons terminé notre quête de la semaine. Bookmark and Share


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