LA SAGA RAY HARRYHAUSEN : Les Soucoupes Volantes Attaquent
Article Cinéma du Vendredi 12 Mai 2023

Par Pascal Pinteau

LES SOUCOUPES VOLANTES ATTAQUENT (EARTH VS THE FLYING SAUCERS) USA 1956 Réalisation: Fred F. Sears. Scénario : Bernard Gordon et George Worthing Yates d’après une histoire de Curt Siodmak. Production : Sam Katzman et Charles H. Schneer. Effets photographiques spéciaux et animation : Ray Harryhausen. Musique : Misha Bakaleinikoff. Avec : Hugh Marlowe, Joan Taylor et Donald Curtis. Noir et Blanc. Distribution : Columbia. Durée : 1h23.
L’histoire : le Docteur Russell Marvin et son épouse Carole participent au développement des fusées du programme « Skyhook ». Ils traversent le désert en voiture pour se rendre à la base où un lancement se prépare. Pendant que le docteur enregistre des idées sur son dictaphone, une soucoupe volante les survole. Arrivé à destination, Marvin est informé par son beau-père, le Général Edmunds, que les explosions des fusées précédentes lui font croire à une série de sabotages. Le savant réalise qu’il a enregistré les sons de la soucoupe sur son dictaphone. Leur analyse révèle un message : les extraterrestres lui fixent un lieu de rendez-vous. Il s’y rend, une soucoupe se pose et il pénètre dans l’appareil. Les extraterrestres lui demandent d’organiser une réunion avec les dirigeants du monde entier à Washington dans 56 jours, afin d’organiser la capitulation des humains puis l’invasion de la terre sans rébellion. Le Docteur Russell transmet le message mais refuse de se résigner à ce sort. Il développe un émetteur anti-magnétique pour saboter les gyroscopes des soucoupes…

Quand Ray retrouve Charles Schneer, ce dernier est certain que le thème des soucoupes volantes est porteur : les médias en parlent constamment depuis le témoignage de Kenneth Arnold en 1947, tandis que peu de films ont été produits sur le sujet. En 1950, la série B THE FLYING SAUCER s’est empêtrée dans une intrigue simpliste : la soucoupe est l’invention d’un savant américain installé en Alaska, et un playboy affronte des espions russes qui veulent la voler. Ses trucages médiocres n’arrangent rien à l’affaire et LA SOUCOUPE VOLANTE n’envahit que les drive-ins avant de disparaître. Dans l’excellente « série A » de la Fox LE JOUR OU LA TERRE S’ARRETA, sortie en 1951, il n’y a qu’une seule soucoupe, et pas de scène de bataille, hormis l’intervention du robot Gort, qui désintègre quelques engins militaires après qu’un soldat trop nerveux ait tiré sur son maître. Si l’on voit des vaisseaux aliens dans LA GUERRE DES MONDES produit par George Pal en 1953, ils n’ont pas l’aspect des disques volants qui fascinent le public. Schneer est convaincu qu’un film intitulé EARTH VS THE FLYING SAUCERS décrivant l’attaque de notre planète aurait toutes ses chances au boxoffice. Sam Katzman valide le projet car il sait que Schneer & Harryhausen réussiront à créer un divertissement spectaculaire avec un budget modeste.

Un scénario composite

Schneer engage le scénariste Curt Siodmak, spécialiste du fantastique, qui a signé les scripts de plusieurs films de monstres pour Universal, comme LE LOUP-GAROU (THE WOLFMAN -1941) ou l’onirique VAUDOU (I WALKED WITH A ZOMBIE – 1943) réalisé par Jacques Tourneur. Schneer dispose d’une ébauche de synopsis décrivant la découverte d’une épave de soucoupe volante dans la jungle, mais Siodmak supprime cette idée, et recentre l’intrigue sur l’authentique « Operation Skyhook » de l’armée de l’air, imaginant que les envahisseurs vont vouloir la saboter. C’est une aubaine pour Schneer, qui va pouvoir utiliser des stock shots des fusées Viking destinées à placer des satellites en orbite. Et pour suggérer les sabotages des extraterrestres, les images d’archives des missiles allemands V2 s’écrasant dès leur décollage conviendront très bien. Ray collabore avec Siodmak sur le traitement et imagine le concept « d’électricité solidifiée » des armures des aliens. Schneer achète les droits du livre FLYING SAUCERS FROM OUTER SPACE, du Major Donald Keyhoe, qui analyse de nombreux témoignages et affirme que les OVNIS viennent d’autres planètes. Déçu par le script de Siodmak, Schneer en commande un autre à George Washington Yates, sans être satisfait. Il fait appel à Bernard Gordon pour lier le meilleur des versions précédentes et y inclure les observations relatées dans le livre de Keyhoe. Fred F. Sears est choisi pour réaliser le film, et Ray dispose enfin d’un scénario validé pour imaginer ses trucages.

Une expérience en demi-teinte

Ray est intéressé par le défi technique de l’animation des soucoupes, qui devront voler de manière convaincante. Il base leur design sur les descriptions des témoins, et ajoute trois séries de trois petites demi-sphères sous leur partie inférieure, pour masquer les accroches des fils de métal qui vont les soutenir. Avant les bandes magnétiques, on enregistrait le son sur des bobines de fils de fer, et Ray en a gardé un stock. Les soucoupes seront manipulées image par image comme des marionnettes à fils, grâce à un support suspendu au-dessus de l’écran de rétroprojection ou des décors miniatures. Les trois fils partant de chaque soucoupe sont tendus et orientés légèrement en « V » pour être fixés sur un support à trois branches qui tourne sur lui-même dans l’axe horizontal. Ce premier support est accroché à un deuxième, sur lequel il coulisse en ligne droite tout en tournant. Le dispositif fonctionne comme un travelling à l’envers. Ray peut régler indépendamment la longueur des fils, et l’inclinaison du travelling suspendu pour modifier la trajectoire de chaque vaisseau. Il décide de construire des soucoupes en aluminium de trois tailles différentes : une de 30cm de diamètre destinée aux gros plans, une de 15cm, et trois de 6,7cm, pour les plans décrivant l’assaut d’une armada extraterrestre. C’est encore son père qui les usine, ainsi qu’un modèle en bois de 45cm pour les très gros plans. La grande soucoupe est équipée d’une antenne montée sur un bras télescopique qui sert à tourner les plans où elle projette un rayon désintégrateur. Hélas, la limite du budget est atteinte. Ray doit renoncer à animer les extraterrestres. Il dessine à la hâte un scaphandre. Trois costumes en latex renforcé sont fabriqués par le département maquillage de la Columbia. Mais Ray n’aime ni leur aspect ni la démarche hésitante des figurants qui les portent, qui trahissent le peu de moyens investis. Pour un artiste comme lui, l’absence de personnage à animer est un crève-cœur. A cela s’ajoute la nécessité d’animer les destructions des bâtiments lorsque les soucoupes déstabilisées par les « émetteurs anti-magnétiques » les percutent. Après avoir fait voler des machines, Ray gère les chutes de dizaines de blocs de pierres, de colonnes et de briques coulissant millimètre par millimètre sur des fils. Un procédé long et fastidieux qu’il n’utilisera plus par la suite. Heureusement, les maquettes commandées à George Lofgren (vétéran de MIGHTY JOE YOUNG) s’harmonisent parfaitement avec les images des vrais monuments de Washington. Pour filmer le crash d’une soucoupe dans le dôme du capitole, Ray part d’un agrandissement d’un mètre de large d’une photo du bâtiment qu’il a prise sur place lors de repérages. Il découpe le ciel en suivant les contours de la toiture, retire aussi le dôme d’un coup de ciseaux, colle le tirage ainsi découpé sur un carton rigide et le positionne verticalement. Il place ensuite le dôme miniature derrière la photo, dans le même axe. Dans le viseur de la caméra, le raccord entre la photo géante du capitole et la maquette du dôme est invisible. Ray peut alors animer ce qui deviendra la scène iconique du film. Si LES SOUCOUPES VOLANTES ATTAQUENT est bien reçu et génère des profits, Ray n’aime pas cette histoire froide, privée des créatures qui lui auraient donné du charme. Mais de nombreux fans apprécient l’ambiance menaçante créée par les soucoupes et les curieux extraterrestres, que Fred F. Sears a pris soin de nimber de mystère. Tim Burton y sera sensible : il reprendra le design des soucoupes de Ray en 1996 dans MARS ATTACKS ! et détruira Washington pour lui rendre hommage!

Lisez la suite de notre Saga Ray Harryhausen bientôt sur ESI ! Bookmark and Share


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