LA SAGA RAY HARRYHAUSEN : Le Monde des Animaux
Article Cinéma du Mercredi 10 Mai 2023

Par Pascal Pinteau

THE ANIMAL WORLD (LE MONDE DES ANIMAUX ) USA 1956 Réalisation, scénario et production : Irwin Allen. Supervision de l’animation : Willis O’Brien. Animation : Ray Harryhausen. Musique : Paul Sawtell. Narration du commentaire : Theodore Von Eltz et John Storm. Couleurs. Distribution : Warner. Durée : 1h22.
L’histoire : Évocation du règne animal, ce film de montage décrit l’aube des temps, le développement des formes de vie primitives, l’évolution des espèces, l’avènement puis l’extinction des dinosaures, et se conclut au moment où apparaissent les premiers mammifères.

Le producteur que Ray rencontre aux Studios Warner est Irwin Allen, qui a écrit le scénario du projet et va également le réaliser. Allen est un génie du marketing, qui a travaillé à la radio et dans la publicité avant de devenir l’agent de plusieurs acteurs, auteurs et réalisateurs. Sa capacité à développer des idées sensationnelles en ajoutant ses clients dans le projet lui a permis de faire carrière dans le cinéma. Après avoir produit trois thrillers pour la RKO, il a persuadé le studio de se lancer dans le registre des documentaires animaliers en s’inspirant du succès des films de la série TRUE-LIFE ADVENTURES lancée par Walt Disney à partir de 1948. C’est ainsi qu’il produit et réalise THE SEA AROUND US en 1953, qui reprend opportunément le titre d’un best-seller écrit par Rachel Carson sans se donner la peine de l’adapter, car il est essentiellement constitué d’images d’archives. Allen mise sur la séquence sanglante du massacre de baleines pour générer un bouche à oreille efficace. Il a vu juste : non seulement THE SEA AROUND US génère un profit de deux millions de dollars, mais il reçoit l’Oscar du meilleur documentaire, alors qu’il ne contient quasiment pas d’images originales ! Allen produit un dernier thriller pour la RKO, DANGEROUS MISSION, tourné en 3D Relief en 1954, puis séduit la Warner grâce à la présentation de son nouveau projet, THE ANIMAL WORLD. Il promet que ce documentaire dépassera tout ce que l’on a vu jusqu’à présent, puisqu’il racontera toute l’histoire de l’évolution des animaux, depuis la naissance de la terre jusqu’au règne des mammifères. Il a déjà imaginé un slogan imparable pour le film : « Two Billion Years in the Making ! » (Deux milliards d’années de préparation !) » La partie la plus alléchante de ce long métrage concernera bien évidemment la faune préhistorique, qui sera mise en avant dans les encarts publicitaires et sur l’affiche. C’est encore une trouvaille astucieuse d’Allen, car cette partie spécialement créée pour le film ne durera qu’une quinzaine de minutes, tandis que tout le reste sera composé de stock shots peu coûteux d’animaux, selon la méthode éprouvée de THE SEA AROUND US. Mais si Irwin Allen est économe, il sait aussi investir de l’argent quand il le faut, et miser sur le talent de grands créateurs d’effets spéciaux. C’est la raison pour laquelle il a engagé le vétéran Willis O’Brien, qui vient de fêter ses 69 ans, pour superviser la fabrication des marionnettes des dinosaures et la conception des trucages du film. Ray est ravi d’apprendre qu’il pourra collaborer à nouveau avec son mentor, et accepte de se charger de l’animation.

Un tournage relativement simple

Ray découvre que les séquences préhistoriques vont être filmées simplement. Les décors miniatures sont construits sur de grandes tables solidement ancrées au sol, derrière lesquelles ont été installés des cycloramas de ciel bleu. Comme il n’y a aucune complication technique, chaque scène pourra être filmée simultanément par deux caméras, placées selon des angles différents, pour doubler la quantité d’images produites chaque jour, et offrir plus d’options de montage à Irwin Allen. O’Brien a donné ses instructions de cadrage au directeur de la photographie Harold Wellman, qui se base aussi sur les descriptions du scénario pour créer les ambiances de chaque scène. Quand Ray découvre les marionnettes qui ont été fabriquées, il n’est guère enthousiaste. Leur modelage – dû au sculpteur Pasquale Manuelli - est un peu simpliste, et elles ont été fabriquées en injectant de la mousse de latex autour des armatures, et non en utilisant le procédé de Marcel Delgado qui consiste à les construire couche par couche, en imitant les masses musculaires et la peau. Toujours pour gagner du temps, Irwin Allen a fait fabriquer de grandes têtes et parties supérieures des corps des dinosaures, qui vont être animées grâce à des mécanismes et filmées à 48 images/secondes. Le cératosaure mécanique mesure 82cm, et Ray n’aime pas l’utiliser, car ses mouvements sont brusques, raides, et rendent ces images peu convaincantes. D’autres économies ont été faites sur trois marionnettes de stop-motion, en partant de la même sculpture pour représenter un tyrannosaure (sans corne) et deux cératosaures (avec une corne). Elles sont tout de même peintes avec des couleurs différentes pour rendre le stratagème un peu plus discret.

Des combats sanglants

Irwin Allen passe peu de temps sur le plateau dédié à l’animation, sauf quand il s’agit de poser à côté de Ray et des dinosaures en faisant semblant de donner des instructions, pendant les séances de photos des coulisses destinées à la promotion du film ! Allen l’encourage cependant à décrire de manière réaliste et brutale l’affrontement entre un cératosaure et un stégosaure qui doit s’achever par la mort de ce dernier. Ses instructions sont suivies à la lettre : Ray anime le cératosaure arrachant un gros lambeau de peau du stégosaure, tandis que la victime ensanglantée tente de se défendre. D’autre plans similaires sont tournés. Et d’autres scènes dramatiques ajoutées pour décrire l’apocalypse volcanique que l’on croyait alors responsable de l’extinction des dinosaures. En tout, O’Brien et Ray ne travaillent que huit semaines sur la séquence préhistorique du MONDE DES ANIMAUX. Ils sont contents du travail accompli pendant ce délai très court, car le montage initial de 15 minutes que leur présente Allen s’avère efficace et bien rythmé. Malheureusement, lors des projections-tests, les plans sanglants sont jugés beaucoup trop violents pour un film destiné à un public familial. Le studio demande à Allen de couper tous ces passages, ce qui réduit la séquence à 9 minutes. Le film est soumis à l’académie des Oscars en décembre 1955, mais n’est pas nominé. Il ne sort que six mois plus tard, en juin 1956. Willis O’Brien et Ray constatent avec plaisir que les critiques sont sensibles au côté grandiose des scènes préhistoriques. Ce sera hélas la dernière collaboration de Ray avec celui qu’il surnomme affectueusement O’Bie, car sa carrière en solo va se poursuivre avec le soutien actif de Charles Schneer à la Columbia. De son côté, Irwin Allen, produira quatre séries de SF iconiques et kitschs des années 60 - AU CŒUR DU TEMPS (THE TIME TUNNEL), PERDUS DANS L’ESPACE (LOST IN SPACE), VOYAGE AU FOND DES MERS (VOYAGE TO THE BOTTOM OF THE SEA) et AU PAYS DES GEANTS (LAND OF THE GIANTS) – ainsi que les deux meilleurs films catastrophes des années 70, L’AVENTURE DU POSEIDON (THE POSEIDON ADVENTURE) et LA TOUR INFERNALE (THE TOWER INFERNO).

Lisez la suite de notre Saga Ray Harryhausen bientôt sur ESI ! Bookmark and Share


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