Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal : Entretien avec Pablo Helman, superviseur des effets visuels
Article Cinéma du Vendredi 12 Decembre 2008

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

C’est après avoir travaillé sur le compositing numérique des plans truqués de « Independence Day » pour le studio Pacific Ocean Post, puis de « Apollo 13 », et « Strange Days » pour Digital Domain que Pablo Helman a rejoint I.L.M. pour collaborer à « Men in Black », « Jurassic Park : le monde perdu », « Contact », « Deep Impact », puis « Star Wars épisode 1 La menace Fantôme », sur lequel il exerce pour la première fois la fonction de superviseur des effets visuels. Depuis, il a occupé ce poste sur « Star Wars Episode 2 : l’attaque des clones », « Terminator 3 », « Master and commander » , « Les chroniques de Riddick », « Bourne Supremacy », « La guerre des mondes », « Jarhead », « Munich », « Les chroniques de Spiderwick », et « Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal ». Effets-speciaux.info s’est longuement entretenu avec Pablo Helman pour évoquer les effets visuels du quatrième épisode des aventures de notre archéologue préféré.



Quelles ont été les principales difficultés de la création des effets visuels de ce quatrième épisode des aventures d’Indiana Jones ? Comment Steven Spielberg vous a-t’il décrit l’aspect qu’il voulait donner à ces effets ?

L’un des principaux défis à relever était bien sûr de réaliser un film qui ressemble visuellement au premier opus tourné trente ans plus tôt, ainsi qu’aux deux suivants. C’était assez difficile à faire, et cette perspective nous paraissait très intéressante. Dès que nous avons commencé à en parler avec Steven, il m’a tout de suite dit qu’il tournerait le film sur pellicule 35mm, en format Panavision anamorphique. Il voulait utiliser les mêmes optiques que pendant les tournages des épisodes précédents. Donc, pour moi, le début du travail allait être à peu près le même. Mais les choses ont beaucoup évolué pendant les trente dernières années. Les techniques de prises de vue ont changé, celles des effets visuels aussi, et Steven a changé lui aussi! N’oublions pas non plus que les goûts du public se sont considérablement modifiés. Je crois que nous tous, dans l’industrie des effets visuels, nous partageons la responsabilité d’avoir créé un monstre insatiable : la surenchère visuelle. Nous avons habitué le public à voir toujours plus de plans truqués, à chaque fois plus spectaculaires, et plus surprenants. J’ai un fils de 15 ans. L’autre jour, quand je suis rentré à la maison, je l’ai vu allongé sur le sofa du salon. Il regardait un match de baseball sur notre grand écran vidéo haute définition, tout en écoutant de la musique avec son Ipod, en faisant ses devoirs et en discutant avec des amis sur le web ! (rires) Quand les jeunes spectateurs sont capables d’absorber tant d’informations en même temps, comme réussir à les captiver en faisant un film qui doit ressembler au premier épisode d’une saga, tourné il y a trente ans ?

Est-ce que Steven Spielberg vous a demandé de conserver du « grain » dans l’image, pour bien souligner que le film avait été tourné sur pellicule et non pas avec des caméras numériques ?

Oui. La qualité des pellicules s’est améliorée. Aujourd’hui, elles ont un grain nettement moins apparent qu’il y a trente ans. Mais effectivement, dans certains cas, nous avons ajouté du grain sur des éléments numériques qui auraient pu en être absolument dépourvus. C’était obligatoire pour obtenir une bonne harmonie entre tous les éléments, ceux filmés sur pellicule et ceux qui sont purement numériques et qui ont été ajoutés en post-production. Ma méthodologie consiste à tourner toujours au moins 50% des effets en prises de vues directes, avec la caméra. De cette manière, nous avons toujours une base réelle à partir de laquelle nous pouvons commencer à construire le reste du plan. Nous ne partons pas de rien. Il peut s’agir d’un élément de décor, d’une scène tournée avec les acteurs sur une petite partie de plateau ou dans un paysage extérieur. Ce n’est pas parce que l’on peut tout recréer avec un ordinateur qu’il faut le faire !

Pensez-vous qu’à une époque, I.L.M. est « tombé sous le charme » de la 3D et a trop utilisé cette technique au détriment de scènes que l’on aurait tournées avant avec des maquettes, des effets spéciaux de maquillage et des créatures animatroniques ?

(rires) Oui, sans doute…(rires) Mais cela dépend des projets, bien sûr. Et de la volonté de leurs réalisateurs. Il arrive que certains metteurs en scène veuillent faire des effets visuels les véritables vedettes de leurs films. Personnellement, je ne ferais pas ça. Je préfère travailler sur des films de plus petits budgets qui bénéficient d’une bonne histoire plutôt que sur des superproductions qui alignent les séquences d’effets visuels, et que l’on oublie dès que l’on sort de la salle. Si l’on n’a pas d’histoire à présenter aux spectateurs, mieux vaut ne pas faire de film !

Est-ce délicat de travailler sur la suite d’une saga ?

J’ai travaillé sur les épisodes 1 et 2 de « Star Wars », sur « Terminator 3 » et « Indiana Jones 4 », et je me suis aussi rendu compte qu’à chaque fois que l’on essaie de jouer sur les souvenirs que les spectateurs ont gardé d’un ancien épisode d’une saga, ce n’est pas une bonne chose. Parce que la mémoire nous joue systématiquement des tours. Je suis né en Argentine, et c’est là-bas que j’ai vu « Les aventuriers de l’arche perdue » pour la première fois, quand j’étais enfant. Je peux vous assurer que mes souvenirs d’enfance émerveillés n’ont rien à voir avec certains des plans que j’ai revus récemment, quand j’ai fait des recherches pour Indy 4. Dans certaines scènes on peut voir des lignes de travelling matte très épaisses (NDLR : il s’agissait du système de détourage optique qui a précédé l’incrustation 2D) ou d’autres défauts. Quand on entend les journalistes parler de ces films qui les ont marqués, ils disent souvent « Oh, mais ces effets optiques des années 80 étaient parfaits ! » sans se rendre compte que ce n’est pas vrai. Tout cela est subjectif. Les effets numériques ont apporté des progrès énormes, indiscutables.

Oui, il y avait notamment des lignes de matte absolument énormes dans « Indiana Jones et la dernière croisade », pendant la séquence de l’évasion du Zeppelin…

Oh oui ! Je m’en souviens ! (rires)

Quand on vous a remis la première version validée du script d’Indy 4, comment l’avez-vous analysé pour établir la liste des effets visuels qui seraient nécessaires ? Est-ce que vous pouvez nous décrire votre processus de travail, et nous dire s’il fallait que vous demandiez souvent à Steven Spielberg et à George Lucas de choisir entre différentes options techniques…

Indy 4 est ma cinquième collaboration avec Steven Spielberg, et j’ai travaillé auparavant très souvent avec George Lucas. Nous nous connaissons bien les uns et les autres. Ni Steven ni George ne souhaitent me dicter comment je dois faire mon travail. Nous en parlons d’abord, nous étudions les options, puis je mets au point une méthodologie, et ils me font confiance et l’adoptent sans la remettre en question. Steven et George ont déjà assez de choses à gérer de leur côté. C’est à moi de me faire du souci pour les effets visuels ! Ce processus de recherche démarre généralement assez tôt. Souvent plus de dix semaines avant le début du tournage.

Est-ce que votre travail de supervision des effets visuels sur Indy 4 a été différent de celui que vous avez accompli sur vos projets précédents ?

Oui. C’est sans aucun doute le film pendant le tournage duquel ma collaboration avec les superviseurs de cascades et les superviseurs des effets de plateaux a été la plus poussée et la plus étroite. Depuis ma première lecture du scénario, j’ai décidé que nous n’allions utiliser aucune doublure numérique pour les acteurs. Steven et moi étions d’accord sur ce principe : il ne fallait utiliser que de vraies cascades.

Pourquoi avez-vous pris cette décision ?

Parce que je suis très sensible à la représentation du comportement humain. Comme tout le monde, je vois des êtres humains tous les jours. Au cinéma, dès que l’on voit un personnage 3D faire quelque chose qui diffère un tout petit peu de ce que ferait un vrai être humain, on se rend tout de suite compte que quelque chose ne va pas. Si l’animation ou la posture du personnage ne correspond pas à 100% à la réalité, mais seulement à 80 ou 90%, le public décroche de l’action parce que quelque chose le gène.

Qu’est-ce qui fait qu’on a tant de mal à coller à la réalité ?

On a toujours la tentation d’embellir les choses, et d’utiliser toutes les possibilités de contrôle de l’animation. De rendre la posture d’un personnage plus intéressante en tordant son pied un peu plus à gauche, en faisant pivoter son buste un peu plus à droite, en ralentissant un peu son mouvement pendant un saut pour le rendre plus impressionnant, etc. Le seul problème quand on fait cela, c’est qu’on tue les lois de la physique et qu’on s’éloigne du véritable comportement humain. Donc, ça n’a plus l’air réaliste, et après, c’est à moi que l’on vient faire des reproches ! (rires) Je préfère éviter cela et dire aux cascadeurs « comptez sur nous pour effacer tous les câbles et toutes les installations dont vous aurez besoin pour travailler en toute sécurité. »

Venons-en maintenant aux principales séquences d’effets visuels du film. La première se déroule dans le hangar de la zone 51, quand Irina Spalko force Indiana à dénicher la caisse dans laquelle est conservée la dépouille d’un extraterrestre…

Elle débute par un plan très difficile, celui de l’ouverture des portes du hangar géant. En réalité, notre décor était tout petit. Il fallait que nous détourions les acteurs, et que nous les intégrions ensuite dans un environnement entièrement créé en 3D. Beaucoup de gens ont dit que c’était un décor très impressionnant, mais en fait, il n’existe pas ! SI le film avait été réalisé par George Lucas, nous aurions tourné ce plan entièrement sur fond bleu. Mais Steven, lui, a préféré le tourner avec une grue, en utilisant exactement l’optique qu’il souhaitait, en filmant un vrai sol et de vraies voitures, et en ajoutant un peu de fumée. Cela lui permettait aussi de donner aux acteurs une part de réel avec laquelle ils pouvaient travailler. Nous avons passé six mois à créer ce plan d’ouverture des portes et de présentation de l’intérieur du hangar.



Il y a ensuite la recherche de la caisse magnétisée, grâce au nuage de poudre qui est jeté en l’air par Indy…

La poudre est représentée par une animation de particules 3D. Nous avons essayé de tourner des plans de référence sur le plateau, mais on n’arrivait pas à voir correctement la poudre. Pour la rendre plus visible, les accessoiristes avaient utilisé des graines assez légères, teintes en gris foncé. Les graines étaient moins fines que de la vraie poudre, mais on n’arrivait pas à les voir malgré cela. Nous nous sommes demandés comment résoudre ce problème, et nous avons eu l’idée de nous servir des lampes suspendues au plafond pour éclairer le passage du nuage de poudre. Pendant nos premiers essais 3D de cet effet, nous avons obtenu un résultat qui donnait l’impression de voir une explosion passer au travers d’un faisceau lumineux. C’était un peu étrange, mais intéressant. On l’a montré à Steven et il l’a bien aimé, et c’est ainsi que nous avons réalisé cette série de plans.

Comment les objets en métal attirés par la force magnétique ont-ils été animés ? Avec des fils sur le plateau, ou en 3D ?

Nous avons utilisé des fils pour faire sauter la paire de lunettes sur le caisson, et les avons effacés numériquement. Pour tout le reste des objets, nous avons utilisé de la 3D, car sinon, il aurait fallu utiliser des dizaines de fils sur le plateau, et cela aurait énormément limité les déplacements des acteurs les uns par rapport aux autres. Ça n’aurait pas été gérable.

Quelles parties du décor du hangar ont-elles réellement été construites ?

Des petites sections du décor, que l’on voit pendant les scènes de dialogues. D’ailleurs parmi ces caisses qui s’ouvrent à certains moments du film, on peut voir des objets de « Star Wars », et notamment un sabre laser ! Mais on ne peut les apercevoir qu’en observant ces plans image par image !

Y-a-t’il d’autres « clins d’oeils » visuels dans le film ?

Non, parce que Steven n’aime pas ça. George en revanche, en est friand ! C’est amusant de les voir collaborer et s’entendre aussi bien, parce qu’ils sont très différents l’un de l’autre. Pour Steven, un film se fait pendant le tournage. C’est pendant cette phase que lui viennent la plupart de ses idées. George, lui, considère qu’il crée son film pendant la post-production.

Arrive-t’il tout de même à Spielberg de vous contacter pendant la post-production pour ajouter de nouvelles idées au film ?

Oui, bien sûr. Il lui arrive de m’appeler chez moi le samedi ou le dimanche, à n’importe quelle heure, pour me parler d’une idée qu’il vient d’avoir, ou d’une modification qui lui est apparue importante !

Un peu plus tard dans cette séquence, il y a ce plan très spectaculaire dans lequel Indy court sur des caisses, enroule son fouet autour d’une poutrelle métallique, et s’en sert comme d’une corde, pour se balancer et atteindre la voiture d’Irina Spalko…

Au début du plan, c’est bien Harrison Ford que l’on voit, mais dès qu’il dépasse la caméra et apparaît de dos, nous lui substituons un cascadeur, qui saute dans le vide, accroché au fouet. Nous avons tourné deux fois la scène, sans caméra de motion control, une fois avec Harrison, puis avec le cascadeur, et nous avons fait la liaison entre les deux avec des effets numériques.

La poursuite entre les véhicules est très impressionnante…

La plupart des plans ont été tournées en direct, en liant des prises de vues réelles filmées librement, sans motion control, et des images 3D des perspectives du hangar. Nous avons surtout effacé des câbles et des équipements autour des véhicules, notamment pour le plan de la collision. Pour le plan qui suit, celui de l’explosion des caisses, nous avons été obligés de filmer les soldats devant un fond bleu, parce qu’il aurait été trop dangereux de tourner la scène en direct, si près des effets pyrotechniques.

Après l’évasion d’Indy, on passe à la scène de la ville factice, anéantie par l’explosion atomique, qui est très réussie…et à l’un des plus beaux plans truqués du film, quand Indy se retrouve face au champignon atomique…

Ce plan a été extrêmement difficile à réaliser. Quand nous avons filmé la scène, Steven voulait que la caméra soit placée face au soleil. J’ai pensé que c’était une bonne idée, parce que nous allions pouvoir placer le champignon atomique par dessus le soleil, et que la lumière naturelle donnerait donc l’impression de venir de là. Mais Steven m’a demandé de placer le champignon à gauche du cadre, et de créer un triangle entre le soleil, Indy et le nuage nucléaire. C’est typique de l’approche de Steven. Il aime créer des images frappantes, comme celle-ci. Il s’inspire beaucoup du style visuel des films des années 50, dans lesquels on jouait souvent ainsi avec les avant-plans et les arrière-plans. L’explosion et le nuage ont été créés avec de l’animation de particules, mais nous avons aussi tournés certains éléments en vrai, comme les nuages de poussières soulevés au niveau du sol. Dans ce cas encore, j’ai appliqué le principe du plan réalisé au moins à 50% avec de vrais éléments.

C’est vraiment l’un des plus beaux plans du film. Indy confronté à deux soleils : le vrai et le soleil nucléaire, créé par l’homme…

C’est en employant exactement ces mots-là que Steven m’a décrit ce plan. C’est effectivement ce que symbolise cette image.

Vous avez certainement dû analyser en détail les images de la destruction d’une ville-test lors de l’explosion d’une bombe atomique, en 1957. Ces images de l’armée US sont vraiment terrifiantes…

Oui. Cinquante ans après qu’elles ait été tournées, elles sont toujours aussi dérangeantes. Ce qui n’a pas facilité les choses, c’est qu’une seule maison de ce décor a été construite à taille réelle, car nous savions qu’il allait falloir fabriquer toutes les autres sous forme de miniatures pour tourner la destruction de la ville. Le seul décor réel est la maison où entre Indy, et où il trouve le réfrigérateur dans lequel il va s’abriter. En dehors de cette maison, de quelques mannequins et de la voiture qui traverse ce paysage, tout le reste de ce que l’on voit à l’image est représenté par des maquettes.

Comment avez-vous déterminé le nombre de maquettes de maisons qu’il fallait construire ?

Nous avons prévisualisé la scène de manière à n’avoir à construire que ce dont nous avions besoin, et rien d’autre. De la même manière, nous n’avons construit que ce que la caméra voyait, c’est à dire seulement l’avant des maisons, mais pas l’arrière, qui était simplement rempli de débris destinés à être emportés par le souffle de canons à air. Tout le décor était monté sur des tréteaux, et nous avons disposé une série de canons à air , cachés derrière les maisons, qui ont été déclenchés les uns après les autres, pour donner l’impression de la propagation de l’onde de choc de la déflagration, qui vient du fond de l’image et se dirige vers nous. Nous avons ajouté aussi de la fumée en 3D, car avant que l’onde de choc arrive, une onde thermique intense brûle tous les objets.

C’est sans doute l’un des phénomènes les plus frappants que l’on peut remarquer sur les images d’archives de 1957…

Oui, vous avez raison, c’est très impressionnant. Nous avons aussi fait fondre les mannequins avec des effets 3D pour reproduire cet effet, vu dans le film original. D’ailleurs, quand on regarde ces images d’archives, on se demande bien pourquoi les militaires ont disposé des mannequins dans leurs décors. Qu’est-ce qu’ils ont bien pu apprendre en les regardant fondre ? Ils ne sont pas constitués comme des êtres humains…

Peut-être l’armée n’a-t’elle montré que les mannequins pour produire un effet dramatique, mais elle a peut-être aussi utilisé des cadavres ailleurs, pour obtenir des informations plus précises sur les ravages provoqués par une explosion atomique sur un corps humain…On avait coutume d’utiliser des cadavres pour réaliser des crash-tests, par le passé, alors pourquoi pas pendant une explosion atomique ?

Peut-être…En tous cas, il existe bien des images de cochons vivants sacrifiés pendant cette explosion.

La séquence de la poursuite dans la jungle est très amusante. Comment a-t’elle été préparée et tournée ?

C’était assez compliqué de choisir une méthode, car il n’y avait aucun moyen de tourner cette scène « en vrai » sans faire courir le moindre danger aux comédiens. Nous avons tourné la plupart des plans à Hawaï, comme toujours en utilisant au moins 50% de prises de vues réelles à chaque fois. Nous avons filmé le passage des voitures près de la falaise dans une plaine, puis nous avons ajouté un précipice en 3D, et un mélange de perspectives réelles. La scène où l’on voit Mutt et Irina Spalko se battre à l’épée, chacun debout sur une voiture, a été filmée à petite vitesse, sur une route parfaitement dégagée, dont nous avions retiré toutes les plantes. De cette manière, les véhicules pouvaient rouler sans risquer un accident. Nous avons ajouté ensuite des plantes 3D qui se déforment sur le passage des voitures, comme si elles étaient passées sous leurs roues. Donc dans ces plans-là, il y a bien plus que 50% de prises de vues réelles. On est plus proche des 70 à 90 %.

Comment avez-vous créé la séquence de l’attaque des fourmis ?

Les fourmis ont été créées en 3D, d’après des photos de véritables insectes, bien sûr. Nous avons établi trois degré de rendering pour les fourmis : une très haute résolution très détaillée pour les très gros plans, une résolution simplifiée pour les plans moyens et une basse résolution pour les plans larges. Dans les gros plans au ras du sol, les fourmis 3D qui s’éloignent de la caméra passent peu à peu d’une haute résolution à une moyenne puis à une basse résolution au lointain. Cette astuce permet de gérer au mieux l’animation de dizaines de milliers d’insectes. Ce serait impossible d’animer 100 000 fourmis en haute résolution. Dans les plans moyens ou larges, toutes les fourmis sont animées grâce à un logiciel d’intelligence artificielle qui gère une simulation de comportement. Il y avait plusieurs catégories d’individus, programmés chacun pour adopter un comportement différent. Pendant la préparation de ces animations, chaque type d’individu avait une couleur différente.

Pouvez-vous nous donner un exemple de ces comportements préprogrammés ?

Oui : l’un d’entre eux obligeait les individus d’une certaine couleur à se faire face, à échanger des informations en remuant les antennes, puis à reprendre leur chemin. Ce sont des petits détails comme celui-là qui donnent l’impression de voir de véritables insectes et non pas des modèles qui se déplacent de manière régulière.

Avez-vous imité précisément le vrai comportement des fourmis, ou sont-elles animées de manière quelquefois fantaisiste ?

Les vrais fourmis peuvent construire des ponts en s’empilant les unes sur les autres, mais elles ne peuvent pas se faire la courte échelle pour attraper une proie réfugié en hauteur comme dans cette scène ou Irina Spalko est accrochée à une branche ! C’est une exagération typique de l’humour de Steven Spielberg, tout comme le plan du soldat, qui est traîné sur le sol par des dizaines de milliers de fourmis, puis tiré à l’intérieur de la fourmilière !

Dans chaque Indiana Jones, on voit toujours un ennemi d’Indy mourir de manière atroce, en hurlant face à la caméra!

Exact ! (rires) Les spectateurs auraient été déçus si Steven n’avait pas utilisé les fourmis pour respecter cette tradition. C’est une image typique de son travail, une « icône » qui raconte une histoire en un seul plan.

Combien de temps la réalisation des effets de la scène des fourmis a-t’elle nécessité ?

Plus de cinq mois de travail.

Passons à la descente mouvementée des chutes d’eau…Comment avez-vous tourné cette séquence ?

Je me suis d’abord rendu au Brésil pour filmer les célèbres chutes d’Iguaçu, puis en Argentine. Quand on voit le plan large des chutes du film, on voit en fait deux décors naturels différents, amalgamés grâce aux effets 2D et 3D. J’ai tourné aussi beaucoup de plans des chutes vues de près, des panoramiques, des travellings, pour avoir le plus possible de références réelles en fond d’image. J’étais installé dans un hélicoptère, et la caméra était suspendue à un câble, et pouvait être manœuvrée à distance. Nous avions ainsi la possibilité de filmer des plans au ras de l’eau. C’était assez périlleux, car l’hélicoptère était soumis aux turbulences provoquées par les chutes d’eau, mais le résultat en valait la peine.De son côté, Steven a tourné la scène avec les acteurs devant un fond bleu, dans un bassin ou était installé le véhicule amphibie. Il a cadré l’action librement, comme il le voulait, et ensuite, une fois que mes fonds d’images des chutes d’eau avait été préparés, j’ai utilisé un logiciel de repérage des mouvements de caméra auxquels les images de fond ont été asservies. Autrement dit, quand la caméra faisait un panoramique sur la gauche, l’image de fond se déplaçait automatiquement vers la droite pour compenser ce mouvement. Du coup, on a l’impression que les scènes filmées dans le bassin ont été tournées au pied d’immenses chutes d’eau. Ça raccorde parfaitement.

Quand vous avez filmé les chutes, vous utilisiez un angle très large, afin de pouvoir recadrer ensuite dans cette image, lorsque le premier plan tourné avec les acteurs allait être ajouté ?

Oui, exactement. Il nous arrivait aussi de tourner certains environnements à 360°, en plaçant la caméra successivement à gauche, puis au milieu, puis à droite d’un panorama. On peut ensuite lier les trois images pour n’en obtenir qu’une, hyper-large. Il nous arrive aussi de créer des supports spéciaux qui permettent de placer 6 caméras côte à côte, afin de filmer une action à 360°. Ce dispositif a été utilisé pour filmer certaines scènes de poursuite dans la jungle.

On passe ensuite à la scène de l’exploration du temple, avec cet étonnant décor d’escalier à spirale dont les marches se rétractent peu à peu dans les murs…

L’équipe de décoration a construit seulement la partie intermédiaire de l’escalier, et nous étions chargés de représenter le dessus et le dessous. La partie inférieure de l’escalier a bien été construite, mais dans une autre partie de décor, sur un autre plateau. Elle n’a pas servi pour la partie de la séquence pendant laquelle les marches se rétractent. Nous avons dû créer un ou deux panoramiques verticaux assez compliqués parce que nous montrons en un seul plan la partie inférieure de l’escalier construite sur un premier plateau, puis la partie intermédiaire construite sur un autre, et enfin la partie supérieure réalisée entièrement en 3D ! (rires)

Ce sont donc des effets spéciaux mécaniques réalisés sur le plateau qui permettaient aux marches de se rétracter pendant que les acteurs descendaient l’escalier ?

Oui, mais le problème, c’est que les marches avaient tendance à bouger sous le poids des acteurs quand ils posaient leurs pieds dessus. C’était gênant pour des marches sensées être en pierre taillée : on n’y croyait pas. Il a donc fallu retoucher chaque image, et stabiliser numériquement les marches sous les pieds des acteurs.

Il y a enfin la scène finale avec le temple et les dépouilles des extraterrestres, puis la destruction de ce lieu dans l’extraordinaire plan qui conclut cette séquence…

La réalisation de ce plan de destruction a été interminable…

Oui, mais ça se voit : il est fantastique ! (rires) Permettez-nous d’ajouter aussi que c’est un plaisir, en tant que spectateurs, de voir un plan de ce genre durer à l’image afin que l’on puisse l’apprécier pleinement…

C’est intéressant que vous disiez cela. Je crois que cela caractérise justement le style de Steven Spielberg. Dans Indy 4, il y a 560 plans truqués, dont la durée cumulée représente environ 48 minutes de film. S’il c’était agi d’un film de Michael Bay, il y en aurait eu des milliers, avec un minutage total équivalent, car Michael aime multiplier les plans très courts. Pour reprendre ce que vous disiez, ce plan-séquence a été créé avec un logiciel 3D tout nouveau qui s’appelle Fracture. Il permet de simuler des craquelures, et la manière dont une surface solide va se déformer et se rompre lorsqu’elle est soumise à une forte pression. Dans ce plan, le terrain est soumis à une force giratoire, se disloque en milliers de débris qui flottent en l’air, puis on voit apparaître le vaisseau, et lorsqu’il s’élève, le barrage naturel des montagnes s’effondre, et toute la plaine est recouverte par les eaux.

Est-ce que ce logiciel 3D est le même que celui que Lucasarts a utilisé dans le jeu « Fracture », dans lequel les joueurs disposent d’une arme qui permet de déformer le terrain ?

Oui. C’est le même «moteur ». Nous partageons des logiciels au sein de la compagnie, un peu comme un fabricant d’automobiles utilise les mêmes pièces sur différents modèles de sa gamme, ou de celles de ses filiales !

Les effets de déplacement d’eau sont très spectaculaires aussi.

Le logiciel que nous utilisons pour cela a été développé par l’université de Stanford. Nous avons passé un accord avec eux afin de pouvoir l’utiliser en exclusivité.

Ce qui est intéressant dans ce plan, c’est que la caméra accompagne d’abord les personnages qui escaladent la colline, puis le cadre s’élargit lentement pour révéler toute l’ampleur du paysage et ce qui se passe…

Oui, c’est encore une touche typique du style de Steven. Je lui a proposé plusieurs fois de rajouter du vent et de la poussière devant la silhouette d’Indy, mais il n’en voulait pas. Il me disait « Non, non, c’est une image qui évoque l’esprit des années 50. Notre héros doit être au premier plan, bien visible, et doit voir clairement les évènements qui se déroulent devant lui. » Pour ma part, si j’étais en haut d’une colline et que je voyais soudain une vallée se désagréger devant moi, et d’énorme blocs de pierre se mettre à tournoyer en l’air, je ficherais le camp à toute allure ! (rires) Mais pas Indy. Il s’en fiche : c’est notre héros, et il veut voir ce qui se passe !

Avez-vous utilisé des éléments miniatures, en complément des effets 3D ?

Oui : les montagnes et les chutes d’eau que l’on voit au fond de l’image sont des maquettes qui mesuraient environ 3 mètres sur 2,50m. Nous les avons filmées à 150 images par seconde, pour ralentir suffisamment les mouvements des chutes. L’eau que l’on voit au centre du lac est vraie aussi, mais filmée à taille réelle. Nous avons installé nos caméras devant le célèbre pont Golden Gate de San Francisco, car ses piliers et les gros rochers qui se trouvent au fond de l’eau créent beaucoup de turbulences à la surface, à cet endroit-là. L’eau que l’on voit à la fin du plan est donc un mélange d’effets de miniatures et de prises de vues réelles, liées par des effets de simulation 3D. Mais l’eau réalisée en 3D n’intervient que de façon très limitée. C’est le plan le plus complexe du film.

Quels sont les autres plans complexes ?

La scène de la destruction de la salle où se trouvent les squelettes des extraterrestres. Les spectateurs ne s’en sont pas rendu compte, mais nous avons reconstitué tout cet environnement pour pouvoir le montrer en train de se disloquer.

Quelle est l’idée que veut exprimer la scène pendant laquelle tous les squelettes des extraterrestres se combinent pour former un seul être, apparemment vivant ?

Le crâne manquant est la pièce qui empêchait cette entité mentale composée de 13 êtres de se reconstituer et de se libérer. L’être que l’on voit apparaître à la fin n’est donc pas composé de char et d’os, mais est simplement une image créée par cette entité pour se révéler à Spalko. C’est un concept que nous avons mis un peu de temps à comprendre, mais qui est devenu plus clair quand nous avons créé les éléments de la scène. D’ailleurs la scène de la destruction de Spalko est sensée se produire à l’intérieur de sa tête. Ce n’est pas une vision de ce qui se passe vraiment à ce moment-là, même si elle est bel et bien anéantie.

Comment avez-vous vu les techniques des effets visuels évoluer en dix ans, depuis votre participation à « Independence Day » jusqu’à aujourd’hui ? Pensez-vous qu’elles ont atteint, dans certains domaines, un stade de quasi-perfection, ou reste-t’il encore beaucoup de choses à faire avant d’en arriver là ?

Je crois que nous sommes arrivés à un point où nous pouvons représenter beaucoup de choses de manière très convaincante. Mais en dehors des techniques, ce sont plutôt les idées des réalisateurs, et la conception artistique des séquences qui vont faire la différence, à l’arrivée. Certains films conçus comme des compilations de trucages donnent dans la surenchère, mais ils tombent à plat parce qu’ils ne sont pas basés sur une histoire forte et des personnages intéressants.

Le coût des effets spéciaux est-il en train de baisser parce que les machines sont plus puissantes et moins chères, ou reste-t’il le même parce que vous disposez de plus en plus d’option, qui nécessitent toujours autant de temps de travail ?

Je ne crois pas que le coût des effets visuels ait baissé. Parce que nous sommes capables de faire des choses de plus en plus complexes, on nous demande sans cesse d’aller plus loin, ce qui nous contraint à passer plus de temps sur ces plans. C’est un phénomène exponentiel. Le long plan de l’apparition de la soucoupe dont nous parlions juste avant a demandé des mois de travail, et son rendering final a duré plusieurs semaines. C’est comme dans le domaine de l’informatique. Au fil des ans, nous nous sommes habitués à ce que les disques durs de nos ordinateurs puissent contenir de plus en plus de données. Et plus leur capacités de stockage augmentent, plus nous accumulons de choses !

Vous souvenez-vous d’anecdotes pendant le tournage de scènes sur fond bleu, avec les acteurs ?

Je me souviens du jour où nous devions tourner une scène où les personnages principaux devaient remonter dans le véhicule amphibie après être tombés d’une chute d’eau. Nous avions donc fabriqué un bassin placé devant un fond bleu, et nous attendions les acteurs. Harrison Ford est un type formidable, qui ne se plaint jamais quand on a besoin de lui pour filmer des plans d’effets spéciaux. Et pourtant, la plupart des acteurs détestent tourner devant un fond bleu…

Il a une certaine expérience dans ce domaine, entre « Star Wars » et la saga « Indiana Jones »...

Oui ! (rires) Je le vois donc arriver en costume d’Indy, ce matin-là, un gobelet de café dans la main. Il regarde le bassin et le fond bleu, et me lance un regard amusé, comme le ferait Indiana Jones avant de se lancer dans un truc un peu fou. Mais c’est normal, parce que Harrison est vraiment Indiana Jones dans la vie…Je commence alors à lui expliquer qu’utiliser un fond bleu et un bassin, c’est la seule façon de procéder pour tourner ce plan. Il me jette un autre coup d’œil ironique, et tout en avalant son café, il me dit « Ne t’en fais pas mon pote, si jamais le plan est nul, ce ne sont pas mes fesses que l’on bottera, mais les tiennes ! ». (rires)

Quel est votre projet suivant ?

Je vais superviser les effets que I.L.M. va réaliser pour le nouveau film de Night M. Shyamalan, qui sera une adaptation de la série animée japonaise « Avatar ». Il sortira en 2010. Les scènes d’action seront traitées de manière hyperréaliste, ce qui sera intéressant à faire, car les personnages se battent en utilisant des éléments comme l’eau et le feu. Ça devrait être très spectaculaire.

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