Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

J’ai vu les premiers épisodes de la série avant de préparer notre entretien, et j’ai été bluffé. Elle est remarquable ! Félicitations pour l’excellent travail accompli. De toute évidence, vos équipes et vous avez investi énormément de passion et d’affection pour ces personnages et pour la série originale des années 90 en créant X-MEN 97. C’est un accomplissement artistique et technique sensationnel !

Merci beaucoup Pascal, au nom de toute l’équipe, parce que effectivement, de haut en bas de l’organigramme, X-MEN 97 est le résultat d’un effort monumental. Comme on le dit en anglais « Ça a mobilisé tout un village » ! (Rires). Tout a été méticuleusement planifié. Rien de ce que l’on voit dans ces images ne se passe par accident, en animation ! C’est la grande différence avec un tournage en prises de vues réelles, où on peut improviser et filmer des choses imprévues qui vont réserver des surprises intéressantes. Réussir à atteindre ce niveau de qualité en animation exige beaucoup, beaucoup de temps et d’attention. Cela représente littéralement des millions d’heures de travail très soigné, en cumulant ce qui a été fait par nos équipes sur deux continents. Bref, encore une fois, merci pour ce que vous venez de dire. C’est vraiment génial de voir que l’accueil est si positif, et que la communauté des fans de comics est satisfaite.

Pour ne rien vous cacher, en pensant à ce que Marvel avait déjà fait en mêlant la 3D et la 2D dans des séries comme AVENGERS ASSEMBLE (en vf AVENGERS RASSEMBLEMENT, cinq saisons produites de 2013 à 2019, NDLR), j’ai trouvé l’animation de X-MEN 97 tellement bien faite et l’aspect des personnages toujours si homogène et fidèle au modèle que je me suis dit que vous deviez avoir utilisé d’abord des modélisations 3D des personnages pour créer ensuite un rendu avec lignes de contours, pour leur donner un aspect 2D. Est-ce comme cela que vous avez procédé ?

Ah non, pas du tout ! Je peux vous dire que X-MEN 97 est une série 2D, entièrement dessinée à la main !

Wow…Alors, c’est un exploit encore plus impressionnant !

Pour être parfaitement clair, nous avons utilisé certains éléments 3D pour nous aider, notamment sur des décors et des machines comme les robots Sentinelles, car les images de synthèse sont bien adaptées à la représentation de ces formes et de ces fonctions. Pour traiter le rendu final qui mélange l’animation 2D des personnages et certains éléments 3D, nous disposons aujourd’hui de meilleurs outils pour tout peaufiner et obtenir un look cohérent. Ils n’existaient pas quand la série originale a été produite. Mais encore une fois, au bout du compte, tout est dessiné à la main, et on peut dire un grand bravo à notre partenaire à l’étranger, le Studio Mir basé à Séoul, en Corée du Sud. Ses animateurs sont extrêmement doués, motivés, et soucieux de livrer un travail de haute qualité. Et du côté américain, je veux citer les principaux membres de notre équipe d’animation interne, et de notre équipe de compositing et de production, car ils ont accompli aussi de véritables exploits. Je tiens à féliciter Jeremy Polgar, notre superviseur principal de l’animation, Chris Graff, notre superviseur principal de l’animation des effets spéciaux, Aisling Harbert-Phillips, notre principale artiste de compositing, et Anthony Wu, notre chef décorateur et designer principal. Ils travaillent avec leurs propres équipes et avec nous tous. Nous avons tous avancé ensemble, sous ma supervision en tant que réalisateur principal. Il fallait aider tout le monde à atteindre le même but.

Comment avez-vous réussi à créer cet aspect à la fois fidèle à la série au format 4/3 des années 90, tout en l’adaptant aux exigences techniques de 2024, avec la HD 4K et le format 16/9ème?

Simplement en investissant beaucoup, beaucoup d’heures de travail dans des recherches méticuleuses, pour tenter de mettre au point un équilibre délicat entre ce qui semblait trop « image HD de 2024 » et le style graphique de la série originale, et en évitant aussi de reproduire ces défauts que les animateurs appellent « le look patate »…

Le « look patate » ? Ah oui, je vois de quoi il s’agit…Mais pouvez-vous expliquer aux visiteurs d’ESI ce que cela signifie ?

Oui, bien sûr, c’est vrai que ce n’est pas évident ! (rires) Dans notre jargon « le look patate » est l’expression que nous utilisons pour décrire la manière dont les dessins d’animation des personnages des séries des années 80 et 90 s’éloignaient du modèle, et devenaient un peu trop arrondis. Ce n’est pas du tout une critique de leurs designs originaux, autrement dit de leur aspect initial sur les model sheets. Je précise que les model sheets, sont les documents de la bible graphique de la série sur lesquels on représente un personnage de face, de profil, de ¾, et de dos, et aussi avec différentes expressions, afin que les animateurs s’en servent de référence pour les dessiner. Mais comme ces séries étaient produites rapidement, à une cadence soutenue, et que le niveau d’expertise des animateurs des studios sous-traitants en Asie variait beaucoup d’une équipe à l’autre, la nervosité et le dynamisme des designs originaux des personnages pouvait être « arrondi », distordu involontairement, si vous voulez, et c’est cela que l’on surnomme le « look patate ». C’est un problème qui se posait dans beaucoup de séries des années 80 / 90.

Merci, à présent on visualise bien ce que cela signifie.

Trouver cet équilibre délicat entre modernité, nostalgie et hommage à la série originale a été extrêmement complexe. Il a fallu tâtonner, faire de nombreux essais, recommencer…Et sur ce point, pour revenir à ce que vous aviez dit un peu plus tôt, c’est vraiment l’un des défis les plus importants auxquels nous avons été confrontés pendant la fabrication de cette première saison, et auquel nous continuons d’être confrontés actuellement. En fait, il y a tant de travail à livrer que nos nuits de sommeil sont très très courtes !

Juste pour être sûr d’avoir bien saisi ce que vous venez de dire : vous travaillez déjà sur la deuxième saison de X-MEN 97 ?

Oui.

Excellente nouvelle !

A vrai dire c’était prévu depuis le début du projet ! Mais à présent que la première saison de dix épisodes a été bien accueillie, impossible de se relâcher. Nous devons constamment nous améliorer, être plus efficaces en créant chaque nouvel épisode de la saison deux, en nous basant sur ce que nous avons appris avant. Tout le monde se surpasse et fait énormément d’efforts pour y arriver.

Avec BATMAN LA SERIE ANIMEE, X-MEN a participé dans les années 90 à la révolution du traitement des histoires dans les programmes destinés à la jeunesse. Les scénarii des épisodes pouvaient plaire à la fois aux enfants et aux adultes, et abordaient des sujets importants comme les méfaits de l’intolérance et du racisme, la lutte des minorités pour mieux vivre dans la société malgré les préjugés, la montée de médias réactionnaires manipulant l’opinion…Et dans le monde d’aujourd’hui, hélas, ces thèmes sont toujours d’actualité.

Oui…Mais ce qui a changé dans le monde de l’animation par rapport aux années 90, c’est qu’aujourd’hui, après la période de pandémie de Covid, qui a eu un énorme impact sur l’industrie du divertissement, on considère désormais l’animation comme un mode de narration supplémentaire qui peut aborder tous les sujets, tous les genres, pour tous les publics. Ce n’est plus seulement un support pour des divertissements destinés aux enfants. Cette prise de conscience a eu lieu progressivement, mais de nouvelles opportunités ont surgi quand les studios et les plateformes ont réalisé que les artistes et les créateurs de séries ou de longs métrages d’animation pouvaient continuer à travailler chez eux, sur leurs ordinateurs personnels, pendant les périodes de confinement que nous avons tous connues. Il a fallu s’adapter techniquement, bien sûr, notamment en s’assurant que les animateurs et toutes les personnes travaillant sur les images disposaient de connexions internet à très haut débit et d’ordinateurs assez puissants, mais c’était relativement facile à organiser et à mettre en place, et ça a été accompli assez vite. Grâce à cela, pendant que des tournages de séries et de films en prises de vues réelles étaient stoppés pendant des mois, parfois plus d’un an, les séries et les longs métrages animés ont continué à être fabriqués grâce au télétravail. Parallèlement à cela, les offres de divertissement ont évolué, ainsi que les habitudes de consommation du public, qui a visionné plus de films inédits et de séries nouvelles en restant à la maison. Nous observons ce qui se passe autour de nous et nous voyons ce que d’autres collègues, producteurs et amis accomplissent dans l’industrie du cinéma et de la télévision. Ils cherchent à aller plus loin, à placer la barre plus haut et à être plus ambitieux dans l’utilisation de l’animation, afin de présenter d’autres types de récits au public. C’est merveilleux de profiter pleinement de ce contexte nouveau où cette forme d’expression artistique est constamment poussée vers le haut, à la fois en termes de narration, et de traitement visuel. Cela nous a incités à être pertinents en transposant X-MEN, afin de pouvoir nous tenir fièrement parmi nos pairs de l’industrie du divertissement.

Si vous vous demandez quel est le superpouvoir de notre dossier X-MEN 97, sachez qu’il réapparaîtra bientôt sur E.S.I. !

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