LES TORTUES NINJA : Reportage exclusif à ILM et entretiens avec l’équipe des effets visuels – 3ème partie
Article Cinéma du Lundi 10 Novembre 2014

Montage immédiat et intentions de jeu …Suite de notre entretien avec Pablo Hellman

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

En manipulant les données grâce au système Muse, retirez-vous certaines parties inutiles des performances, comme un petit geste trop appuyé, ou une mimique que le réalisateur juge superflue ?

Oui, c’est l’un des avantages du système : il nous permet de retirer des choses dont nous n’avons pas besoin ou des petits accidents pendant une prise. Nous nous sommes aussi rendu compte que quand les acteurs accentuaient énormément certaines de leurs expressions faciales, les personnages 3D des tortues pouvaient être trop déformés et être « Off Model » autrement dit, ne plus ressembler à leur aspect normal. Dans ces cas-là, il fallait que nous retrouvions les moments où les acteurs étaient allés un peu trop loin, puis que ces mimiques soient adaptées de manière à ce que les tortues conservent une apparence satisfaisante.

Est-ce que cela arrive souvent quand des personnages 3D n’ont pas exactement les mêmes proportions corporelles et faciales que les acteurs qui les animent en capture de performance ?

Effectivement, ce décalage entre le physique d’un acteur et celui d’un personnage imaginaire comme une tortue Ninja génère ce type de problème dans certains cas. Sur une tortue Ninja, l’écartement des yeux est plus important, le nez est plus gros, la disposition des dents dans la bouche n’est pas la même, bref, il y a de nombreux décalages qui font que des ajustements sont nécessaires ponctuellement. C’est très important pour que la transposition d’une performance soit efficace, car dans les mimiques d’un visage, les moindres nuances sont importantes. Par exemple, il y a une très faible différence entre un sourire franc et honnête et un sourire sarcastique ou moqueur. On peut constater cela aussi sur les animaux : quand un chimpanzé « sourit », cela ressemble plutôt à un sourire moqueur qu’à un sourire sincère. Il faut donc être très attentif quand on anime des créatures 3D qui parlent, car leur morphologie faciale peut transformer la signification de la performance de l’acteur si on transpose une capture de performance sans veiller à respecter les intentions de jeu du comédien. Je pourrais prendre aussi l’exemple d’un chien : s’il « sourit » et vous montre ses dents, ce n’est pas une bonne nouvelle ! Cela signifie qu’il vous menace et s’apprête à attaquer, et qu’il vaudrait mieux s’enfuir à toutes jambes ! (rires) Là encore, une transposition d’un sourire humain sympathique sur une morphologie canine ne produirait pas l’effet voulu. Dans le même ordre d’idées, il faut veiller aussi à ce que les directions des regards des acteurs soient correctement transposées sur les personnages 3D qui sont souvent un peu plus grands ou plus petits qu’eux, sinon les quatre Tortues Ninja ne se regarderaient jamais directement dans les yeux, mais à côté, ce qui produirait un effet curieux !

Avez-vous fait rejouer aux acteurs dans « le volume » beaucoup de scènes qu’ils avaient déjà tournées dans les décors en studio ou en extérieurs ?

Oui, pour peaufiner certains moments du film. Il y a un exemple caractéristique dans une scène où Michelangelo, que joue Noel Fisher, dit à April « On vous retrouvera » avant de sortir du cadre, puis revient lui dire « Pardon, ce que j’ai dit avait l’air super sinistre ! Bref, on vous retrouvera facilement ! » La première partie de ce plan de Michelangelo a été tournée dans les décors en extérieurs, et la seconde où il revient s’excuser quatre mois plus tard dans le volume. Bien sûr dans les deux cas, même quand Noel Fisher était « hors cadre » nous continuions à enregistrer sa performance. Si vous vous rappelez qu’il y a deux caméras qui permettent de faire une triangulation pour situer la position de Noel dans le volume, plus les deux caméras sur son casque pour capturer ses expressions, vous vous rendez compte que cela fait énormément de données à gérer même pour un plan tout simple d’un seul personnage comme celui-ci.

Justement, comment intervenez-vous concrètement sur les données des expressions, par exemple ?

Sur le moniteur qui affiche les données recueillies, toutes les variations des mouvements des points du visage sont figurées par des lignes, des grandes courbes. Les animateurs peuvent agir sur chaque élément en mouvement au moyen de curseurs. Mais pour mettre au point toutes les implications logiques de ces interventions – car on ne peut pas modifier un seul mouvement du visage sans qu’il influe sur d’autres muscles faciaux et d’autres parties de la peau – il a fallu mettre au point un logiciel dédié qui a nécessité deux ans de développement. C’est un mélange complexe d’analyse et de contrôle scientifique du visage d’un personnage 3D, et de méthode d’intervention artistique sur une performance, qui permet de réinterpréter les données recueillies.

La suite de notre dossier Tortues Ninja / ILM paraîtra bientôt sur ESI !

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