Furiosa : Une saga Mad Max – Entretien avec George Miller (Réalisateur / Scénariste / Producteur) – 2ème partie
Article Cinéma du Vendredi 17 Mai 2024

Chris Hemsworth

GEORGE MILLER :
« J’ai entendu parler de Chris et d’une manière plutôt intéressante. À l’époque où on tournait le tout premier MAD MAX, on avait une bande d’authentiques motards qui jouaient les motards avec le Chirurgien à leur tête (campé par Hugh Keays- Byrne). Ce n’étaient pas des motards ultraradicaux et criminels à la Hells Angels. C’était juste un groupe de motards qui se baladaient sur les routes de campagne de Victoria. Si vous vous souvenez de MAD MAX, il y avait un chien du nom de Wonder Dog qui voyageait à l’arrière des motos, et le chien appartenait à tout le groupe. Plusieurs années après, l’un des membres de la bande, Dale Bensch, qui avait réalisé quelques cascades dans le premier MAD MAX, m’a montré une photo avec Wonder Dog. Parmi ces motards, il y avait ce type du nom de Hemsworth – le père de Chris. Les parents de Chris étaient tous les deux assistants sociaux et s’occupaient d’enfants victimes de violences. Ils étaient pionniers en matière de travail social ».

« Plusieurs années après, étant donné que je connaissais l’existence de Chris, on a décidé de se rencontrer. Je ne savais rien de lui. Et dès notre première rencontre, j’ai vu qu’il était extrêmement attentif aux autres et au monde, très observateur, toujours prêt à tout étudier. Il se connaissait très bien, et il était parfaitement conscient du regard des autres sur lui. On a parlé de charisme et il m’a dit ‘Il faut qu’il y ait de l’humour. Il faut de l’humour pour être charismatique. On peut avoir l’air brillant sur une photo, mais c’est autre chose quand on parle ou qu’on marche – et la plupart des dirigeants, même si je suis certain qu’il y a des exceptions, ont cette capacité à séduire les foules, d’une manière ou d’une autre’. Je lui ai demandé de lire le scénario et il a immédiatement cerné le personnage. Et j’ai vu se révéler, au cours du tournage, un acteur extrêmement doué, d’une très grande intelligence, au sens le plus large du terme. Il savait non seulement ce qu’il devait faire pour incarner le personnage, mais il était parfaitement conscient de la place qu’occupait Dementus dans le contexte du récit. Il avait une perception si fine du personnage qu’à chaque fois qu’il faisait une proposition, je lui faisais entièrement confiance. Tout à coup, son intelligence n’était pas seulement utile à son jeu ou à son personnage, mais à la dramaturgie dans son ensemble. Il faisait régulièrement des propositions. Cela m’a beaucoup rappelé ma collaboration avec Mel Gibson à l’époque où il était jeune. Chris était constamment présent sur le plateau. Il ne restait pas dans sa caravane. Il y avait sa bande autour de lui, composée pour l’essentiel de motards, et il échangeait sans cesse avec eux. Et il observait tout ce qui se passait. C’est exactement comme ça que se comportait Mel. À l’époque de MAD MAX et de MAD MAX 2, on n’avait pas de caravanes en Australie et Mel était tout le temps sur le plateau. Un jour, je me suis tourné vers lui alors qu’il était en train d’observer ce qui se passait, et je lui ai dit ‘Mel, tu vas passer à la réalisation, non ?’ Et il a acquiescé. Bien entendu, Mel est devenu un grand réalisateur et je retrouve les mêmes qualités chez Chris. Il comprend très bien le fonctionnement d’un tournage. Et, bien entendu, il est très doué physiquement et effectue ses propres cascades : dans la vie, il passe son temps à faire de la moto, du surf et toutes sortes d’activités physiques. Il s’imposait donc totalement dans ce rôle. Une fois que j’ai rencontré Chris, que j’ai vu comment il s’emparait du scénario et que j’ai compris son fonctionnement qui correspondait au personnage, je me suis dit que le rôle de Dementus lui revenait pleinement ».

L’incarnation de Furiosa

GEORGE MILLER :
« Pour s’approprier le personnage de Furiosa, je crois qu’Anya a puisé dans sa propre enfance, dans ce qui l’a forgée, dans sa vie personnelle et sa personnalité – il y a quelque chose de très primitif chez Anya, une volonté acharnée. En tournant ce film, j’ai décelé sa détermination à faire son travail du mieux qu’elle pouvait – et cela ne m’a pas surpris, sachant qu’elle est la plus jeune d’une famille nombreuse. Anya doit beaucoup conduire pour les besoins du film. Et – sans que je sache pourquoi – elle n’avait pas le permis. Je crois qu’elle a surtout fait de la moto. Mais, quoi qu’il en soit, elle n’avait pas beaucoup d’heures de conduite et, surtout, elle n’avait pas le permis. Avant même de travailler sur ce film, elle s’est mise à la conduite. Lorsqu’elle est arrivée en Australie, Guy Norris et l’équipe des cascadeurs m’envoyaient des vidéos où on la voyait conduire, faire de la moto en roulant sur la roue arrière et exécuter d’autres figures. J’ai commencé à voir émerger la Furiosa capable de piloter n’importe quel véhicule. C’était tout aussi vrai du maniement des armes à feu. Elle apprend très vite et je crois que c’est ce qui a poussé Edgar à m’encourager à l’engager. Il était conscient de ses qualités. Elle danse et chante très bien et je me suis dit qu’à partir de là, elle pouvait s’adapter à n’importe quelle activité physique et qu’elle serait parfaitement à l’aise dans un rôle aussi physique. Tout comme Mad Max, ou Furiosa dans FURY ROAD, son personnage est très laconique. Il faut que ces acteurs soient très expressifs en se contentant d’être devant la caméra. Les mots sont surtout utilisés pour des échanges fonctionnels, et pas pour se dire des choses personnelles. Ils ne servent qu’à transmettre des informations essentielles. Par conséquent, les personnages ne parlent pas beaucoup, mais ils ont évidemment pas mal de choses à communiquer aux autres par leur seule présence devant la caméra. Anya excelle en la matière ».

Praetorian Jack

GEORGE MILLER :
« Tout comme Furiosa dans FURY ROAD, Praetorian Jack se situe assez haut dans la hiérarchie de la Désolation, sachant que le sommet est occupé par Immortan Joe. Praetorian Jack est le personnage avec qui Furiosa est totalement contrainte, par les circonstances, de faire équipe pour pouvoir espérer rentrer chez elle. Comme il le souligne lui-même dans le film, c’est un guerrier assez traditionnel. Pour survivre dans ce monde, et pour y trouver sa place, il est devenu ce guerrier talentueux qui arpente les routes en pilotant ce véhicule à la manière d’un Prétorien, au service d’Immortan Joe. Il est comparable aux autres soldats et, comme il le fait remarquer, ses parents étaient eux-mêmes guerriers et ils étaient à la recherche d’une cause noble, alors même que le monde s’effondrait, mais ne l’ont jamais trouvée. C’est ce qu’on entend régulièrement dans la bouche de plusieurs soldats : ils affirment être des militaires de carrière. Mais ils ne maîtrisent pas la cause qu’ils servent, et celle-ci n’est pas forcément noble. C’est le dilemme du soldat et on le retrouve chez Praetorian Jack. Il procure non seulement à Furiosa les ressources pour devenir une combattante, mais, une fois qu’elle est adulte, les ressources pour devenir l’Imperator Furiosa et, en définitive, une Prétorienne ».

« J’avais quelques personnes en tête une fois qu’on a engagé Anya et Chris. La formidable agent d’acteurs Nikki Barrett m’a proposé une liste de gens et, parmi ceux-ci, figuraient ses dix favoris. J’ai vu le nom de Tom Burke et ça a été immédiat. Je n’ai même pas regardé les autres noms de la liste. Comme j’avais travaillé avec Tilda [Swinton], j’avais entendu parler de Tom Burke puisque, bien entendu, Tilda travaille avec Joanna Hogg. Je l’avais vu dans THE SOUVENIR et il m’avait vraiment impressionné. Et puis, j’ai vu deux ou trois autres films qu’il a tournés, et dès que j’ai aperçu son nom, je jure que je n’ai pas regardé les autres ! J’ai appelé Nikki et je lui ai dit ‘C’est Tom Burke !’ Là encore, je suis content d’avoir suivi mon intuition parce qu’il a été merveilleux et qu’il s’est parfaitement intégré à l’univers du film ».

Véhicules et personnages

GEORGE MILLER :
« FURIOSA se déroule sur une quinzaine d’années, si bien qu’il y a d’importants sauts dans le temps et que, au fond, il s’agit de l’odyssée d’un personnage qui traverse de nombreuses épreuves et qui acquiert toutes les facultés qui lui permettent d’atteindre son objectif : rentrer chez elle. Parmi toutes ces épreuves, il y a plusieurs scènes d’action qui gagnent en puissance au cours du film. Et s’il y a bien une chose qu’on ne peut pas faire quand on entreprend la suite, ou le prologue, d’un film qui existe, c’est de répéter les mêmes scènes qu’on a déjà vues dans l’opus précédent. Mais d’un autre côté, on a l’obligation de raconter l’histoire de la même manière. Il y a donc plusieurs séquences d’action dans ce nouvel opus, dont une, décisive, au milieu du film : la scène du ‘Passager Clandestin’ où Furiosa s’embarque clandestinement à bord de cet incroyable Porte-Guerre. C’est l’équivalent, dans l’univers de la Désolation, d’un somptueux vaisseau spatial capable de nous transporter jusqu’à Mars ou même au-delà ».

« Dans FURY ROAD et FURIOSA, on a bien pris soin de faire en sorte que les véhicules incarnent les personnages – ce sont des prolongements des personnages au même titre que les costumes, les coiffures et tout le reste, à l’instar des armes et de l’attirail qu’ils transportent. C’est ainsi que Max pilote son V8 Interceptor qui porte vraiment sa signature. Dementus change constamment de véhicule tout au long de la saga : il pilote d’abord son char-moto, avant de conduire un gigantesque camion monstrueux dès lors que le personnage se procure plus facilement du carburant et d’autres choses. Ça fait partie de son personnage. Mary Jabasa commence par monter à cheval, puis passe d’une moto déglinguée au Thunder Bike. Quant à Furiosa, elle finit par participer à la construction du Porte-Guerre qui a beaucoup progressé par rapport à celui qu’on voit dans FURY ROAD. Cela représente son besoin d’évasion. En devenant elle-même Prétorienne, ce Porte-Guerre se transforme en un double camion-citerne qu’elle partage avec Praetorian Jack, et qui, d’une certaine façon, est emblématique des deux personnages. Du coup, les véhicules racontent les personnages, tout comme les scènes d’action sont censées les révéler. C’est à travers ce prisme qu’on cherche à imaginer l’architecture de ces films ».

Scènes d’action et personnages

GEORGE MILLER :
« Bien entendu, il y a des scènes d’action ! C’est ma drogue ! Le langage cinématographique, qui au fond n’a que 150 ans, est un langage assez nouveau. On peut l’apprendre très vite. Et c’est un langage universel : même les très jeunes enfants, quel que soit leur pays d’origine, comprennent la syntaxe du cinéma. Et pour moi, l’action, c’est du cinéma à l’état pur. C’est pour cela que je ne m’en prive pas ! C’est ce qui m’intéresse le plus – à condition que l’action soit au service des personnages. Du coup, il y a beaucoup de scènes d'action dans FURIOSA et elles se démarquent des films précédents. À mon avis, si elles se contentaient de reproduire celles qu’on a vues dans FURY ROAD, ce ne serait qu’un exercice cynique : à chaque fois qu’un film répète des séquences qui ont fait leurs preuves, les spectateurs ne les voient plus. Il faut proposer des scènes d’action inédites qui, malgré leur singularité, donnent au public le sentiment d’être en terrain connu. Je crois pouvoir affirmer que l’action de FURIOSA répond à ces critères ».

Musique et paysage sonore

GEORGE MILLER :
« Rob Mackenzie, notre chef-monteur son, et Tom Holkenborg, notre compositeur, ont travaillé ensemble très en amont. En général, on se retrouve toujours au mixage avec une rivalité entre le compositeur et le sound designer : certains affirment qu’on n’entend pas bien les sons, d’autres qu’on n’entend pas les effets, et d’autres encore qu’on n’entend pas la musique. Mais ils finissent par se fondre en un paysage sonore unique. Pour l’essentiel, la musique sert de narration interne à l’intrigue, sans anticiper la réaction du public. Je crois qu’autrefois, parfois en désespoir de cause, j’ai utilisé la musique dans mes films pour insister sur telle ou telle émotion que le spectateur était censé ressentir parce que je n’étais pas certain qu’il la ressentirait. Ce n’est pas la fonction de la musique. En tant qu’outil de narration, la musique capte ce qui est spécifique au personnage et, lorsque c’est nécessaire, indique au spectateur que la spécificité du personnage devient universelle – ou, en tout cas, le lui suggère. On part toujours, au cinéma, de la spécificité d’un personnage pour aborder des thèmes plus universels. Et, à mon sens, c’est là toute la force de la musique ».

Si vous voulez tout connaître sur l’histoire des trucages, dans le cinéma, les séries, le maquillage, le cinéma d’animation et les plus belles attractions des parcs à thème, offrez-vous EFFETS SPÉCIAUX : 2 SIÈCLES D’HISTOIRES, la bible des SFX, unanimement célébrée par la presse comme l’ouvrage absolument incontournable sur le sujet, avec 848 pages, 2500 photos dont beaucoup exclusives, et les interviews de 160 des plus grands spécialistes mondiaux ! Vous découvrirez des anecdotes incroyables sur les tournages des films et séries cultes, et vous saurez exactement comment les moments les plus étonnants de vos œuvres favorites ont été créés !
Pour vous procurer ce livre de référence en un clic sur Amazon, c’est par Ici. Bookmark and Share


.