DUNE : DEUXIÈME PARTIE : Entretien avec Paul Lambert, Superviseur des Effets visuels
Article Cinéma du Vendredi 12 Avril 2024

Trois fois oscarisé, PAUL LAMBERT compte 25 ans de carrière au sein de l’industrie du cinéma. Il a décroché ses Oscars pour BLADE RUNNER 2049, FIRST MAN – LE PREMIER HOMME SUR LA LUNE et DUNE. Il fait équipe avec plusieurs grands cinéastes hollywoodiens et a également remporté plusieurs BAFTA Awards, Emmy Awards et VES Awards. Tout au long de sa carrière, il a su allier les dimensions artistique et technique des effets visuels, et il a réussi à mettre au point plusieurs dispositifs novateurs et mémorables à travers ses projets. Il a par exemple inventé l’algorithme IBK, utilisé par Nuke, logiciel de compositing de prédilection du secteur des effets visuels.

Comme avez-vous abordé ce retour dans l’univers de DUNE ?

C’était sensationnel d’être de retour pour cette deuxième partie parce que j’adore travailler avec Denis. C’est toujours un formidable travail d’équipe. Je serais prêt à collaborer à n’importe quel projet de Denis, mais revenir dans l’univers de DUNE après le travail qu’on a accompli pour le premier opus et le triomphe qu’il a rencontré, c’était génial ! On savait depuis le départ qu’il y aurait beaucoup plus de scènes d’action et que l’approche de Denis serait viscérale. Autant dire que la perspective de le retrouver m’a emballé ! Je savais aussi que ce serait un formidable défi. Il s’agissait de conserver la même esthétique et les mêmes principes mis au point sur le film précédent, puis de les appliquer au deuxième opus avec une montée en puissance.

Quelles ont été les idées de Denis Villeneuve sur l’approche de la séquence où Paul tente de chevaucher un ver des sables ?

Denis sait parfaitement ce qui fonctionne en infographie et ce qui ne fonctionne pas. Pendant nos premières réunions en visio avec l’équipe, avant de nous rendre à Budapest, on a évoqué la séquence de la chevauchée du ver par Paul parce que Denis nous avait exposé sa vision – extraordinaire – de la scène. En gros, les Fremen utilisent un marteleur au sommet de la dune. Le vers, attiré par le bruit du marteleur, arrive et la dune s’écroule. Le Fremen se trouve alors en haut de cette dune, au moment où elle s’effondre, et il en profite pour chevaucher le vers. On a eu de nombreuses conversations pour savoir comment on allait s’y prendre et l’une de nos plus grosses difficultés, c’était d’obtenir le plan de Paul qui se précipite sur le vers pendant que Chani et les autres Fremen l’observent. Il fallait rebâtir le sommet de la dune de sable à un autre endroit où on pouvait contrôler la situation et installer des grues et on a introduit trois tubes à l’intérieur de la dune qui allaient être retirés par des tracteurs industriels. On faisait appel à un cascadeur – Lorenz Hideyoshi, en l’occurrence, doublure cascade de Timothée —harnaché à un câble de sécurité qui se mettait à courir. On retirait les tubes. La dune allait s’écouler et Lorenz tombait depuis une dune très haute sur le vers, faisant voler le sable dans tous les sens dans un nuage de poussière. Il fallait qu’on règle le timing, la caméra devait suivre l’action, etc. Il nous a fallu quelques essais sur plusieurs jours parce que la remise en place était assez longue, mais cela a bien fonctionné ! Puis, mon équipe a amplifié la scène en infographie avec des panneaux et des photos aériennes, ce qui donne le sentiment que Paul est beaucoup plus haut, et ensuite, bien entendu, on a incrusté le vers en infographie. Pour la cascade à proprement parler, on a installé Timothée sur un cardan afin de pouvoir modifier l’angle de la plateforme, entouré par une gigantesque enceinte couleur sable susceptible d’être éclairée par le soleil et de renvoyer une lumière vive, aux reflets dorés, sur Paul. On a tourné des plans aériens tenant lieu de paysage environnant, tout en continuant à envoyer des rafales de sable sur Paul. Quand tous ces éléments étaient déployés, on avait le sentiment que Paul chevauchait un vers à travers le désert !

Quelles sont les règles à respecter pour réussir à optimiser l’impact des effets visuels ?

Je collabore avec tous les autres chefs de poste afin qu’on puisse se coordonner et il y a quelques ‘règles’ que je souhaite faire respecter. Par exemple, je ne veux pas avoir à modifier l’éclairage ou le jeu des acteurs en postproduction. C’est très coûteux et ça ne fonctionne pas toujours. Mais grâce à l’équipe de Greig, à la direction d’acteur de Denis et aux décors de Patrice, cela n’arrive pas. Si je dis à Denis qu’un plan en particulier peut être difficile à obtenir en postproduction, il est prêt à en changer parce qu’il tient au réalisme : il ne veut en aucun cas qu’un plan dans lequel on perçoit la présence des effets sorte le spectateur du récit. Il ne veut pas qu’en raison du manque de réalisme, on se déconcentre et on s’extraie du monde extraordinaire dans lequel il nous a plongés.

Les trucages devaient s’adapter à la force de la nature…

Denis répète souvent que la nature est plus forte que les storyboards et la prévisualisation. Autrement dit, bien qu’on sache à quoi s’attendre sur un lieu de tournage, s’il a le sentiment que le plan doit être modifié pour s’adapter à l’environnement, il le fait. C’est une démarche organique, vivante, mais cela peut se révéler terrifiant dans mon domaine ! Mais c’est aussi très stimulant de devoir s’adapter et être réactif.

Comment avez-vous coloré les yeux des Fremen en bleu ?

Nous avons utilisé toutes sortes de techniques pour ce film. Comme on voit beaucoup plus de personnages Fremen dans cet opus, nous devions donner à tous leurs interprètes ce très beau bleu. C’est d’autant plus délicat qu’il y a plus d’un millier de plans dans ce film, autrement dit beaucoup plus que dans le volet précédent. Nous avons mis au point une nouvelle méthode en nous servant de ce que nous avions appris antérieurement à partir des centaines de plans d’yeux bleus du premier opus : il s’agit d’un système d’apprentissage automatique, basé sur le « deep learning ». Cela signifie qu’un algorithme, alimenté par les plans issus du premier film, va apprendre à repérer des yeux humains dans une image, puis agir pour donner une teinte matte aux différentes parties de l’œil. On s’est ensuite servi de cette base aux différentes nuances mattes pour teinter les yeux en bleu. Certains regards ont mieux réagi à ce traitement que d’autres, et pour ceux qui étaient moins convaincants, nous avons corrigé et repris cela à la main, sans le logiciel. On avait parfois l’impression que la boucle était bouclée puisqu’on devait parfois ôter certains yeux bleus qui avaient été générés pour les personnages non Fremen, au lieu d’en ajouter, car l’algorithme se contentait de détecter tous les yeux humains, qu’il s’agisse de ceux des Fremen, des Harkonnen ou de Saradaukar ! Mais c’était une technique radicalement nouvelle, et donc un défaut que nous n’avions pas encore eu le temps de corriger.

Parlez-nous des effets visuels des scènes d’action…

Nous avons des scènes de bataille gigantesques mobilisant des milliers de Fremen, de Harkonnen et de Sardaukar, si bien qu’on a augmenté le nombre de figurants filmés sur le plateau. Il y a aussi l’Épice bien entendu. Et bien évidemment, nous avons fait voler des ornithoptères et adopté la même démarche : on leur a ajouté des ailes, on a utilisé des hélicoptères et on a amplifié l’impression de sable qui vole pour accentuer l’impact de l’appareil quand il se pose sur le sol. Néanmoins, pour la scène où l’ornithoptère se pose, on en a construit un nouveau – un ornithoptère Harkonnen dont la forme est légèrement différente de ceux du premier opus. Ce que j’adore chez notre chef décorateur Patrice Vermette, c’est qu’il met au point un cahier de tendances, qui recense toutes les images du film validées par Denis, avant le premier jour du tournage. C’est rare car, en général, un cahier de tendance permet de générer d’autres idées – et on se rend compte que si on applique les concepts définis à l’avance au lieu de tournage, le plus souvent ils ne fonctionnent pas. On fait du sur- place. Mais comme Denis a tout le film en tête et que Patrice se met au service de sa vision, on a des concepts opérationnels. On connaît l’arrière-plan, on sait comment Greig travaille la lumière et le cadre, si bien que le film s’élabore de sorte à ce je puisse rendre crédibles les plans d’effets visuels. On ne crée pas un univers à partir de rien, mais il est toujours ancré dans la réalité, puis on l’amplifie et on l’enrichit en postproduction, et on achève le plan avec un élément physique pour que le spectateur reste plongé dans le film.

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